Oui, comme nous le disions dans l’article précédent, tout se fera parce que vous passerez dans une vie de réalité et non plus d’irréel, d’opinions éducatives, de spéculation universitaire, de plan administratif, de sentiments éducatifs, de rumeurs, de on-dit, de médias, de bavardage bref, de factice. La voie est pratique.
Louis Armstrong disait: « Le génie, ça se travaille ! »
Ingres dit justement un jour à Degas quelques mots décisifs du même genre. Alors jeune artiste, Degas fait des pieds et des mains pour rencontrer Ingres, son idole. Après avoir engagé une timide discussion, Degas ose lui demander quelques conseils. Ingres l’aurait alors encouragé à dessiner :
Faites des lignes, beaucoup de lignes, d’après nature ou de mémoire, et vous deviendrez un bon artiste.
Degas appliqua à la lettre la précieuse leçon, des milliers d’heures durant… et devint un grand artiste.
On n’a jamais vu un grand combattant réussir de grande action sans des milliers d’heures de travail. Ni un grand artiste sans des milliers d’heures de travail.
Il n’est jamais trop tard pour commencer.
Laissez-nous vous raconter une anecdote. Nous avons eu récemment le plaisir d’aller écouter un pédagogue qui a proposé une petite conférence (sans lire de notes, chapeau) sur l’autorité. Tout ce qu’il disait était très juste. Je n’ai juste eu à réagir qu’après la conférence sur un mot, lorsqu’il a dit que le projet pédagogique de l’école catholique établissait nettement l’absence de rapports entre l’être et l’acte. Il est possible que j’aie mal entendu. Son propos était de ne pas juger un enfant qui a commis des actes délictueux, de ne pas le juger, de lui dire qu’il est un délinquant. C’est très juste. Cependant, j’ai réagi sur l’idée selon laquelle l’acte serait indépendant de l’être.
Nous voulons le dire clairement : l’acte émane de l’être d’une part, d’autre part il le construit.
La pratique construit l’être
Vous serez ce que vous faites, vous n’aurez aucune excuse, hélas ! On ne vous proposera pas de[s2If !current_user_can(access_s2member_level1)] (…) la suite est réservée aux membres accompagnés, pour activer votre accès membre, passez par ici. Déjà membre accompagné ? Connectez-vous dans le menu du site (en cas de souci, voir la FAQ). [/s2If] [s2If current_user_can(access_s2member_level1)] recommencer votre vie. Vous avez eu tout votre temps. La vie a ce côté impitoyable, il y a aussi ce Dieu terrible et intransigeant, à côté du Dieu d’amour. On l’oublie. Vous préparez les pièces de votre jugement dernier. Nous serons ce que nous faisons. On vous berce d’illusions en vous disant « ne vous inquiétez pas, Dieu est amour » : il y a une radicalité, une entièreté de la vie. « Je vomis les tièdes », dit le Seigneur. Que cela signifie-t-il ?
Cela signifie que le temps est un temps dans lequel nous devons nous situer, agir au sens philosophique et même matériel du terme. Mais pas seulement de temps à autre. C’est un long travail: la pratique.
Comment cela, « la pratique construit l’être » ?
La voie est pratique
Si j’apprends l’anglais, je me crée une liberté, celle de dialoguer en Angleterre et dans plein d’endroits sur Terre. Si je ne sais pas parler anglais, j’ai beau me dire libre, je n’ai pas la liberté de parler avec les anglophones. Donc, se dire libre est purement… réducteur ! On n’est pas libre de tout ce qu’on ne sait pas faire, de tout ce qu’on ignore : c’est-à-dire infiniment.
Si je parle anglais, je vais peut-être trouver un métier aux USA. Ma vie en sera changée, et donc moi-même, puisque je mangerai autre chose, verrai autre chose etc. Il est donc clair que ce que je fais me modifie.
Séparer l’acte de l’être, c’est le déresponsabiliser. En fait, j’ai dû mal entendre le conférencier parce qu’il s’est déclaré tout à fait d’accord lorsque je lui ai posé la question.
Les signes: blouse, uniforme, vouvoiement…
Il explique aussi que nous avions à inventer des codes, des signes pouvant pallier à la disparition des signes extérieurs d’autorité. Cela à la suite d’une question d’un ami :
Le pouvoir de sanction a disparu, la blouse de l’élève, l’estrade aussi, on tutoie l’instituteur et on l’appelle par son prénom, du coup, comment peut-on s’en sortir ?
J’ai trouvé la question intéressante et je vous dirai pourquoi. Mais avant cela, je vous livre la réponse du conférencier, fort adroite :
Si en tutoyant vous pensez vouvoyer, la tonalité de votre propos correspondra à votre intention.
Pas mal. Ou bof bof. L’un dans l’autre, le tutoiement d’un enseignant le ramène à une égalité que le conférencier par ailleurs considère comme dangereuse et inepte, à raison selon moi. Je pense que beaucoup d’enseignants sont obligés de gérer un tutoiement qu’ils ne considèrent pas très heureux.
On veut copiner, et dans les faits on détruit un lien. Lorsque je vais en haute montagne avec un guide, j’ai surtout besoin qu’il me conduise sans encombre au sommet. Je redouterais même le copinage parce qu’il pourrait priver le guide de me dire mes quatre vérités si je fais une erreur, et en montagne je n’ai pas le droit à l’erreur. Je n’ai aucun besoin d’une ambiance « peace and love » et cool, j’ai besoin d’un vrai professionnel, d’un maître en sa matière. Je me moque de son caractère, seul m’importe son savoir-faire. De même le pilote de l’avion qui vous transporte ou le chauffeur de taxi, pas vrai ?
Vous savez pourquoi on dit qu’il ne faut pas faire d’affaires en famille ? Parce que cela tourne mal, et cela, parce qu’on n’ose pas dire dès le début que l’on n’est pas d’accord ou qu’un truc nous échappe. L’absence de franchise génère des tas de problèmes.
Des relations de copinage avec un enfant déplace la vérité sur le plan des sentiments. Et c’est souvent faussé.
Nous devons donc faire attention à cette dérive sentimentale.
Nous sommes involontairement dans une culture du consensus et de la bonne ambiance, qui nous conduit parfois à des catastrophes. Un peu de distance et d’autorité seraient les bienvenues, lorsque la responsabilité est grande. Le maître-mot est ici: responsabilité.
Les présidents de la République, depuis 40 ans, nous font part de leur « immense indignation », de leur « sentiments douloureux ». Non, messieurs, gardez vos émotions et votre sentiment, et faites votre travail. Nous ne sommes pas à un show télévisé, nous ne sommes pas censés être dans l’émotionnel. Que s’est-il passé ? Que faut-il faire ? Cela seul nous importe. Les bonnes décisions et les justes analyses exigent que les émotifs soient écartés.
Vous voyez comme l’inversion va loin: au lieu de posséder un savoir-faire de gouvernant, le politique est dans la démonstration de sentiments (faux d’ailleurs, on ne peut pas croire au sentiment de quelqu’un qui n’a aucun lien avec des victimes, c’est une émotion pastiche !).
Passons. On est toujours là dans le virtuel, l’abstraction, et plus on est dans l’abstraction, plus on s’éloigne.
Il y a d’une part une proximité du savoir-faire et d’autre part un éloignement du diplôme ou du titre.
J’en reviens au conférencier. L’enfant, comme l’adulte d’ailleurs, se situe aussi beaucoup par rapport aux signes, au langage, aux vêtements, à l’estrade, au titre etc. La Fontaine dit : « Du magistrat, c’est la robe qu’on salue. » Et pour cause, si l’on ne salue pas l’homme mais le titre ou le rang, c’est que les signes renvoient à quelque chose qui dépasse l’homme particulier: c’est tous les hommes de sa profession, et leur fonction, et donc un rouage de la société tout entière.
Le drame est que le signe est souvent arboré par des imposteurs, comme le sous-entend La Fontaine.
Mais ces signes du réel, quand ils sont bien employés, légitimement employés, solidifient les rapports des hommes entre eux et favorisent la distinction, et donc le discernement, l’intelligence, la clarté des situations et des pensées.
On a eu tendance à supprimer les signes extérieurs de verticalité, de hiérarchie, pour privilégier un rapprochement, une proximité dans laquelle l’autorité a disparu. Il fallait peut-être essayer. Mais on s’est rendu compte que ces signes sont indispensables. Le signe extérieur permet de se reconnaître, de se situer, de s’orienter. Le plus difficile dans la vie, c’est de se situer. On n’a pas encore essayé de faire jouer des équipes de rugby sans maillots distinctifs, on n’a pas encore retiré leurs uniformes aux gendarmes ni aux karatékas. On n’a pas non plus supprimé les panneaux sur la route. Le signe visible manifeste la réalité invisible, l’autorité publique par exemple.
Dans une époque aussi peu préoccupée de principe, on me répond « quel rapport ? » Le rapport est un principe, on maintient pour les adultes, sur la route, les signes qui leur permettent de distinguer où se trouve l’interdit et l’obligation, tandis qu’on les enlève aux enfants à l’école. On maintient l’uniforme du gendarme sans lequel il serait délicat d’obtenir spontanément le respect de la fonction, alors qu’on l’a enlevé à l’enseignant. Essayez pour voir de retirer leur uniforme aux gendarmes, et vous verrez comment ça se passera, sur le bord des routes…
Ce principe a une raison d’être première: c’est plus pratique. Cela évite la confusion, les joueurs de deux équipes le comprennent bien.
Mais il y a plus: le symbole aide à ingérer, à recevoir. En fait, le symbole est agissant (c’est ce que sous-tend le mot symbole d’ailleurs: tout véritable symbole est vivant).
Vous pourriez donc très bien utiliser une tenue de travail pour la classe, vous auriez une blouse d’institutrice et votre enfant aurait une blouse d’écolier. Ce serait très constructeur pour l’esprit de l’enfant et peut-être même que vous, vous seriez dans un autre registre.
Bref, on peut réfléchir, en tant que mamans et papas, à réinventer des signes d’autorité, d’une bonne autorité, et là vous avez le champ libre. On a retiré les signes aux enseignants et aux élèves, on a retiré l’estrade et du coup, on est tous au même niveau, ne reste plus que l’âge et encore, dans certaines classes, les élèves sont plus âgés que l’enseignant. Cette confusion rend les choses floues. Même l’heure du début du cours n’est pas claire.
Les enfants ont un énorme besoin de recevoir pour s’élever. Ils ont besoin de signes. Le démon le sait bien puisqu’il multiplie les signes faux et abominables, il a fait cette « civilisation » du signe, celle des médias. A vous d’en extirper l’enfant.
Les – bons – signes visibles vont être des tuteurs, comme des signes sur un chemin de grande randonnée. Ils changeront bien sûr, de même que l’uniforme change en fonction du grade, que la partition change en fonction du niveau du musicien etc.
Il y a un autre point extraordinairement intéressant. C’est favoriser le don qui existe au fond du cœur de chaque être humain. Nous le verrons dans le prochain article. [/s2If]