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La pratique, secret ultime

La pratique, secret ultime


Pratiquez, pratiquez, pratiquez. En enseignement mais aussi en parlant mieux à l’enfant. En éduquant jour après jour, en perfectionnant vos techniques. En vous évaluant vous-même. Sur quoi progressez-vous ? Sur quoi régressez-vous ? Sur quoi calez-vous ? Reprenez le fil, la réponse est sous votre nez, 9 fois sur 10.

Bref, pratiquez.

« L’élève, l’homme ou la femme en pratique, seront toujours les plus éloignés de l’idéologie et de la vanité, son corollaire », dis-je dans l’un de mes romans.

Secret de la maîtrise: la pratique

Les sociétés les plus pacifiques et les plus fortes sont des sociétés de gens en pratique. Les peuplades qui font encore notre admiration par leur capacité à vivre au sein du monde réel sont dans cette pratique de la vie au quotidien. Les gens de maîtrise, les gens qui ont une autorité, sont des gens qui pratiquent.

Pratiquons, sans cesse confrontons-nous à l’épreuve, cela renforce, cela rend humble et construit ; car cela enseigne aussi la logique secrète contenue en chaque matière. Seule la pratique permet de trouver le chemin juste dans la spéculation intellectuelle. Le langage en paraboles du Christ, ou même celui des taoïstes, ou des contes et légendes ancestraux, révèle des vérités profondes : tous les mystères se trouvent tapis autour de nous, dans le réel. Les secrets de l’invisible que poursuivent les scientifiques sont autour de nous.

J’ai appris le japonais au Japon et en France. J’ai retenu 90 % de ce que j’ai appris au Japon et 10 % de ce que j’ai appris en France. Au Japon, on pratiquait : oral, écrit, oral, écrit. Une fois que c’était assimilé, on recommençait la leçon. Oral, écrit. Des dizaines de fois.

En France, de la théorie, beaucoup d’heures de théorie, des semaines très chargées. Avec des tas de choses qu’on trouve en 5 minutes dans un livre ou sur Internet. La structure de ceci ou la grammaire de cela. En deux ans de toute cette théorie, pas un seul étudiant n’est capable de parler le japonais.

C’est le système français. Je ne supportais pas très bien cela. Les autres étudiants non plus, du coup, ils avaient beaucoup plus d’activités dans les associations ou à la buvette. C’est comme ça qu’ils trouvaient parfois du boulot : par des combines, du copinage, en disant qu’ils parlaient le japonais; rien que de le dire, ça faisait impression, mais on ne creusait pas leurs connaissances universitaires. Quand bien même le niveau des examens était élevé, ils ne vous fournissaient aucune pratique sérieuse. Vous avez des cracks à la FAC qui sont incapables de bien se débrouiller. Bref, vous sortez de la FAC française et vous voilà dans une filière grâce à une imposture ou au chômage : qui veut d’un jeune plein de théorie ?

Nous voudrions réellement attirer votre attention sur ce sujet qui est absolument central pour l’avenir. Cette réflexion n’a pas été menée par les institutions, on fait jusqu’ici semblant de ne pas voir ce qui se passe et on ne comprend pas pourquoi l’Occidental a plus de mal que l’Asiatique à se mettre au travail. On n’a pas osé s’attaquer à la raison fondamentale qui est essentiellement un rapport différent à la pratique.

Un mal civilisationnel

La question fondamentale, c’est d’un côté l’idolâtrie absolue pour la spéculation et l’abstraction (donc le travail intellectuel, universitaire…), en Occident, de l’autre la réalité des métiers et des savoir-faire, en Asie.

En Europe, on cause, on cause beaucoup. Il y a une hiérarchie des métiers qui met les services, spécialement la communication (liée à la parole), tout en haut de l’échelle, et la paysannerie tout en bas ou presque. Alors que, si on y réfléchit, le paysan nourrit ses contemporains, alors que le journaliste passe sa vie à parler des autres, sort effrayant si l’on y songe, et bien souvent à se tromper, voire mentir.

En éducation, l’enjeu est en France d’avoir un diplôme, pas des connaissances ou un savoir-faire. Or, quelles sont les bonnes écoles qui réussissent et où l’on réussit ? celles où l’on enseigne tout simplement les savoir-faire, via une pratique. Là, il ne s’agit pas de trimer en vue de l’examen pendant trois semaines, il s’agit de se plonger en permanence, tout au long de l’année, dans la fréquentation pratique du savoir.

Certains étudiants des facs, qui n’ont réussi leur examen qu’en trichant, ne sont jamais découverts. J’en connais qui ont de beaux postes, jusque dans les ministères. Le jour où l’on a réellement besoin de connaissances et de savoir-faire, il n’y a plus personne: l’ouragan de 99 ayant sévi, on a dû faire appel à de petites entreprises locales: EDF était incapable de faire face. Le système qui se repose sur les gens de savoir-faire est très exposé à la panne. On le voit dans les hôpitaux, les écoles, les tribunaux. Structure d’imposture.

Parce que nos valeurs sont inversées: on admire le titre avant le métier, le savoir avant le savoir-faire, l’idée avant la maîtrise. C’est tout notre système qui repose sur des fondations fragiles, comme ces immeubles qu’on bâtissait en 1945 sur des décombres et des bidons de ferraille, après les bombardements, en espérant qu’ils ne s’écrouleraient que le plus tard possible (ils s’affaissent en ce moment, joli cadeau).

Si nous constatons autant d’incapacité et d’irresponsabilité dans notre société, c’est en partie à cause de cela, qui est vrai aussi chez les politiques. S’ils deviennent ministres, c’est parce qu’ils n’ont rien à faire ailleurs, ne possédant aucun savoir-faire. Dit autrement, on a à la tête du pays des gens qui par essence n’ont aucun lien aux choses, aux réalités. Ils n’ont jamais éprouvé le sens de leurs propres mots, ils sont exactement comme ces gens contre lesquels Socrate s’est élevé, qui péroraient et aimaient faire des démonstrations contradictoires, affirmant qu’il n’y avait pas de vérité absolue, qui avaient surtout du goût pour le discours, autrement dit la spéculation abstraite. Ils s’appelaient les sophistes. Socrate leur oppose une vérité et un engagement qui va au bout des choses; il en pâtit puisqu’il est condamné à mort et refuse de fuir, en conformité avec les valeurs qu’il défendait.

On a tous les jours des tas d’exemples de gens qui sont incapables de faire ce pour quoi ils sont payés, et jusqu’ici presque personne ne remet le système en cause sur le fond. On a là une grande part de l’explication de l’effondrement de l’Occident face à l’Extrême-Orient.

Le fond de la question, c’est la sur-valorisation de l’abstraction par rapport à la pratique et au savoir-faire qui en découle. La vérité intéresse moins que le jeu d’esprit. C’est ce qui fait l’aveuglement des politiques.

Les services dont la ressource est l’intellect (communication, journalisme, droit, publicité etc.) sont en France beaucoup mieux vus que les métiers et les savoir-faire. Un jour, dans un litige qui m’opposait à une administration, à Toulouse, un juge me demande : « A part être artisan, qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » Je lui réponds : « Je suis aussi écrivain. » « Ah ! s’exclame-t-il, c’est déjà plus intéressant. » J’ai failli écoper de 1500€ d’amende parce qu’après un moment, j’ai répondu : « C’est l’artisan qui vous paye, monsieur le juge, et qui permet à ce pays d’avoir une justice. Pas l’écrivain. » Il s’est étranglé de fureur. C’est drôle comme tant de simplicité provoque tant d’ire…

Si l’on y songe, cette réflexion spontanée du juge est très parlante : il y a un mépris pour les métiers et une sur-valorisation des professions intellectuelles. Premier résultat ridicule, il y a des milliers d’étudiants en sociologie chaque année à Toulouse alors qu’on en a peut-être besoin de trois ou quatre chaque année ! Et le budget de l’Etat fond parce qu’il n’y a plus de production nationale. Il y a une omniprésence totalisante et survalorisée de la « pensée » au détriment des métiers, bref : du savoir au détriment de la connaissance.

La connaissance, c’est la fréquentation des principes vivants. Et cela n’est accessible qu’à celui qui pratique.

 

Voilà pourquoi nous allons éviter à notre enfant l’impasse du faux diplôme, du savoir vain, et surtout des idées fausses, de l’imposture même. Nous ne remplirons pas sa tête avec de vaines choses, nous le mettrons en marche, en pratique.

Votre enfant, dans le système, est appelé à avoir des titres, des diplômes, des grades, mais derrière cela, il n’y aura pratiquement rien. Ça a marché jusque dans les années 80, on arrivait à décrocher des postes parce que le monde était cloisonné, et qu’il y avait des héritages de métiers mais c’est fini, le ballon de baudruche s’est dégonflé: on a une hiérarchie de « charlots » en costumes, pour dire les choses sans ambages.

Attention à l’avenir : vous avez des systèmes très performants, essentiellement impulsés par les Américains, de vérification des savoirs, via le coaching et les audits, qui détectent très vite les « faux-monnayeurs » de diplômes, les imposteurs. On entre dans un monde de la vérité et de la performance professionnelle.

L’école classique conduit largement à l’imposture. A la maison, vous conduirez l’enfant vers sa réalisation (réel), vers son accomplissement. Car on n’est pas dans « le faire », l’agitation, on cherche à accomplir et s’accomplir. Nous allons vers un instant sublime et parfait, comme Miyamoto Musashi face à la mort. Nous ne sommes pas les spectateurs de notre vie, nous en sommes les acteurs: elle sera couronnée par ce que nous en ferons. Nous serons les acteurs, et les réalisateurs, les chefs monteurs et nous composons même la bande originale ! Il n’y a pas un producteur apatride pour nous dire quoi faire.

Rappelons-nous que la réussite de l’enfant dépendra de ses vrais savoir-faire. Et donc sur la solidité de sa personne, qui aura comme « valeur » exactement la somme de ce dont il est capable.

Après avoir été dans l’avoir, nous sommes allés vers l’être. Mais contrairement à la mode psy, nous n’en sommes pas restés là, nous ne restons pas dans « l’être » mais dans l’agir, car c’est l’agir qui fait l’être, et non la rumination ou la réflexion sur ses propres vertus ou manques: la proposition « je pense, donc je suis » est pleine de fausseté, mieux vaut dire : « j’agis, donc je suis ».

Vous avez là un secret essentiel qui coupe en deux l’Histoire: il y avait jadis le monde des hommes qui se modelaient par l’action (et que l’action conduisait nécessairement à la vertu puisqu’elle impose ses lois naturelles), et vous avez aujourd’hui le monde des gens qui se pensent…

Dans le système, on sait, on sait, et plein de choses ; mais on ne sait rien du tout, comme le chantait Jean Gabin.

Les métiers ont l’avantage immense qu’ils permettent à l’intelligence de saisir les principes intrinsèques, non seulement des choses et de la matière, mais de ce qui parcourt la chose créée et lui donne vie, s’agirait-il de matière dite inerte. On peut, en cultivant les champs ou en bâtissant un pont, saisir des vérités telluriques, découvrir des concepts, développer une philosophie ou une politique, de manière beaucoup plus sûre et surtout beaucoup plus viable (dans viable, il y a vie) que par de pures spéculations. En observant un plant de pomme de terre comme le fit Molière avant d’écrire son Tartuffe*, ou un plant de courgette**, on peut découvrir des principes politiques extraordinaires. Molière voit que la pomme de terre déploie l’essentiel de son activité sous terre, il pense à son personnage hypocrite et faux: Tartuffe, autrement dit « la pomme de terre ». J’ai observé la courgette et je peux vous assurer qu’il n’y a pas beaucoup d’économies aussi bien pensées.

Je le dis avec d’autant plus d’humilité que je suis plutôt un intellectuel et que j’ai grandi dans une société qui a la religion du mépris relatif des choses et des métiers, dans une exaltation des métiers intellectuels. Regardez vos journaux, vos médias : quel mépris pour les métiers, pour la réalité, pour la vérité en fin de compte puisque nécessairement tout les conduit là, à ce déni.

Tout ce que j’ai réussi d’excellent, en combat physique ou en écriture, ou en dessin, ou ailleurs, c’est parce que je l’ai exercé. Bien sûr, c’est parce que j’ai ajouté un élément intellectuel, une idée, une surprise pour l’adversaire, mais celle-ci n’a valu que parce que ma pratique pouvait la servir.

Il n’est donc pas question de dévaloriser l’intellect, mais seul il ne fonctionne pas. J’ai été artisan et la fréquentation des savoir-faire m’a énormément appris. Les réalités m’ont enseigné la réalité et même une part de la vérité. Une génération qui a connu la guerre, partiellement privée d’études, m’a montré qu’elle pouvait être infiniment plus admirable par sa science de la relation à l’autre, par son imprégnation philosophique issue d’existences très dures, de la guerre, par sa faculté à régner souverainement face aux adversités, par une connaissance des choses, par un esprit de générosité, de grandeur, d’économie, d’abnégation et de solidité, de ténacité et de finesse qui venaient de confrontations à la réalité. Il faut avoir connu ces seigneurs pour comprendre que le savoir n’est vraiment pas grand chose. Cela, je crois que ce sont les métiers, et par excellence la terre, qui le procurent lorsqu’ils fatiguent le corps humain et le conduisent vers la pensée et les livres. Une culture livresque en tant que telle ne vaut rien, il faut qu’elle habite une charpente éprouvée, vaste, vivante, solide. C’est ce que montre admirablement bien de grands auteurs comme Marcel Legaut, le très grand penseur paysan.

Répéter pour enraciner

Lorsque nous enseignons, nous devons réellement habiter le cours. Et nous faisons beaucoup répéter. L’enfant commence à oublier quant il croit savoir. Fréquemment, je demande aux enfants : « qu’est-ce que je viens de dire ? » L’exercice qui consiste à répéter ce qui vient d’être dit fait entrer la notion dans l’esprit. Ou même : « peux-tu répéter ce que tu viens de dire ? » qui est encore une proposition toute différente.

Nous ne rabâchons pas avec ennui, nous répétons juste comme il le faut, comme un coureur reprend son entraînement.

(suite au prochain article)

*: Tartuffe vient de tartifle, la pomme de terre, dans l’Est.
**: Vous souriez peut-être, mais lorsque nous cultivions des courgettes en Provence, nous observions que la feuille de cette plante a une politique de l’eau très élaborée. Elle accueille une part de l’eau mais repousse au loin l’excédent grâce à la forme de ses feuilles. Son ombre maintient un niveau d’humidité supportable même en plein cagnard. Etc.

Yabusame La pratique ecole https://l-ecole-a-la-maison.com/

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