Élever l’enfant en liberté: le gros malentendu


Il est de mode de prétendre inventer des enseignements « en liberté ». L’enfant, désormais, serait libre. L’on se pense « à contre-courant » en proposant la « liberté » de l’enfant. Intention apparemment louable. Mais dans cette idée d’élever l’enfant en liberté, il y a un gros malentendu. Si gros que pour finir, les promoteurs de cette idée se retrouvent dans un système de pensée qui débouche à leur insu sur l’exact contraire de ce qu’ils voulaient. Comment courent-ils à chaque fois à la catastrophe, c’est ce que nous allons voir.

Et c’est d’ailleurs tout le drame des sociétés européennes qui prônent la « liberté » depuis deux cents ans et qui sont des systèmes désormais largement… totalitaires.

Quel est le problème, quelle est la mécanique ?

Cette maman nous dit:

J’ai toujours voulu accompagner mes enfants en liberté pour mieux acquérir une bonne éducation et l’instruction que je juge utile. J’ai créé un groupe où nous avons aboli les choses obligées et où l’enfant est complètement libre, à contre-courant de ce qui se fait ailleurs.

On nous le dit souvent. La première partie est sujette à caution et la seconde inexacte.

Déjà, pour le dire vite parce que ce n’est pas l’essentiel, sur le plan historique, cette proclamation d’une ère de liberté, qu’on entend à chaque génération depuis Spartacus, nous laisse toujours mi-amusés, mi-affligés.

Cette prétention à l’instruction « libre » présentée comme « nouvelle » est fort répandue, spécialement depuis 1920, avec des pics vertigineux en 1950-1970 où l’on a vu presque une école de ce genre créée par jour, devenues par la suite des établissements tout ce qu’il y a de classique, voire des lieux de perdition et de destruction des intelligences. Prétendre que le phénomène est nouveau est simplement l’expression d’une ignorance – fort répandue, il est vrai.

Proclamer l’ère d’une liberté de l’enfant est un peu comme proclamer que désormais l’enfant pourra boire de l’eau. Cela existe depuis toujours. Depuis 100.000 ans, les mamans et les papas font l’école à la maison et certains d’entre ces parents ont laissé une liberté totale à l’enfant. Des écoles ont choisi ce mode par dizaines de mille, on en a des exemples partout et tout le temps depuis 2.000 ans, dans la Haute Antiquité, dans la Basse antiquité, au moyen-âge, au dix-septième siècle sur l’Ile Bourbon, communautés religieuse de tous temps, monastères, écoles de l’expédition de Cortès, écoles d’îles éloignées, écoles fondées par des mères courage par centaines, communautés pirates même, et bien sûr au 19ème siècle où l’une de nos ancêtres a créé une école devenue célèbre, et puis dans les années 1950-1960 où c’est l’épidémie d’écoles dites « en liberté », « libres », « sans autorité » ou déclinant toutes les variations de la liberté supposée, de tous temps on a fait l’expérience de laisser « toute liberté » à l’enfant. Nous n’oserions pas prétendre inventer une quelconque forme de liberté de ce type, puisque tout a été fait.

Les écoles dites alternatives voire démocratiques versent elles-mêmes naturellement vers le système clos, puis répressif, parce que leurs postulats de départ sont faux. Ils sont partis d’une « bonne idée » bien gentille, et en fait destructrice. Par exemple, elles se trompent en évoquant le « respect de l’enfant ».

Voir aussi

Mais venons-en à la question que nous n’avons encore pas poussée à fond, ce que nous faisons aujourd’hui : comment élever l’enfant en liberté ?

De quelle liberté parle-t-on là ?

L’on ne parle là que de liberté de choix. Choisir ce qu’on veut, par exemple abolie les obligations, ce n’est rien d’autre qu’une liberté de choix entre un mode d’enseignement ou un autre.

Ce qui n’est pas le millième de l’autre liberté que nous allons voir plus loin.

Tout ce qui est fait durant ces expériences relève de la seule liberté de choix.

Quel est le résultat de cette Histoire assez riche dont la moitié des acteurs tente de faire mieux que les expériences antérieures et où l’autre moitié, n’ayant pas cherché à savoir ce qui précédait, prétend inventer ?

Une question qui est au cœur de notre site, qui hérite volontiers de toutes les expériences, y compris celles qui déplaisent aux modernes, et qui rappelle la nécessité de retrouver la liberté véritable, qui n’existe actuellement nulle part: de quelle liberté parlez-vous ? Quand on nous répond, dans 100% des cas, on nous propose en fait la liberté de choix.

Cette question révèle que les Occidentaux ont une conception serve des choses et que par conséquent il parlent d’une chose dont ils ne connaissent pas la vraie nature.

En fait, tous les « inventeurs » actuels se situent

  1. en négatif d’un système qu’ils n’aiment pas
  2. parce que ce système ne donne pas de bons résultats à leurs yeux.

Or,

  1. Ce n’est pas cela, la liberté. La vraie liberté (dont oui, oui, nous parlerons plus loin) est celle qui développe la liberté de l’enfant. Ce n’est pas la liberté de faire les choses comme il veut au moment présent, c’est celle qui lui donnera une liberté étant adulte, au moment où il en aura besoin. Vous apprenez le chinois, vous acquérez une liberté. Mais c’est une contrainte !
  2. En rejetant un système déplaisant, on oublie que les gens de ce système n’ont plus les qualifications et donc in jette le bébé avec l’eau du bain.
  3. De même, en rejetant un mauvais système, on ne fait que refléter à l’envers ce système: on agit encore dans l’emprisonnement de ce système: d’où toutes les écoles dites démocratiques qui sont presque toutes sur le modèle de l’école. Ce sont des écoles qui se veulent « en mieux » mais on ne voit pas où il y aurait là un concept plus « libre ».

Repartons de la base

L’être humain a besoin de cette liberté de choix, c’est-à-dire choisir entre ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas, c’est vrai, mais entre Chirac et Jospin, entre Hollande et Sarkozy, entre Macron et le Pen, avouez que vous n’avez qu’un choix limité. Vous êtes libres de choisir, certes… Sauf que vous n’avez pas la liberté de proposer votre pharmacien qui serait un président extraordinaire et bien meilleurs que tous les autres réunis.

Vous comprenez le piège ?

Par ailleurs, pour acquérir la liberté du chinois, qui me donne la liberté de vivre en Chine (que je n’avais pas avant), je passe par la contrainte de l’apprentissage de cette langue.

Par conséquent, la liberté a besoin aussi de guide, il a besoin aussi d’obstacles et de carcan, tant que c’est un carcan d’amour et qui élève (pensez aux jeunes sportifs dont l’entraîneur conduit les entraînements), il a besoin de rejeter, d’accepter, de tester, de ne pas tester, il a besoin de routine et d’improvisation, il a besoin de tout ce qui construit un être humain et tout cela en des proportions différentes selon l’enfant, et chez chaque enfant différemment selon l’humeur, selon l’envie, selon la santé, selon l’âge et les expériences, selon les challenges qui lui sont proposés, et bien sûr selon l’enseignant lui-même, selon ses talents, selon le contexte social, historique, les circonstances, la fortune et les moyens, et toutes sortes de choses.

Tenez, quand nous disons « l’enseignant lui-même, selon ses talents », nous pouvons faire faire 5 heures de travail écrit d’affilée à des enfants avec un sujet de rédaction, là où un enseignant classique ne réussira pas 20 minutes ! C’est bien ici une question de savoir-faire.

Par conséquent, bien peu de gens sont à même de dire quelles sont les contraintes à rejeter. On en juge toujours aux fruits, aux circonstances et aux personnes. Là où une contrainte peut être horrible, elle peut être un plaisir immense avec quelqu’un d’autre. On a tous connu de bons profs et des profs moins bons, dans les mêmes matières. Et ce n’est pas du tout la sévérité qui faisait qu’on se sentait bien ou pas bien. Nous avons eu des profs sévères qu’on n’aurait surtout pas échangés et des profs mous avec qui on ne se sentait pas « libres » mais en prison mentale.

Nous avons vu beaucoup d’expériences mais les plus belles pour nous sont d’une grande humilité face à ce grand univers de l’éducation et de l’instruction et, par ailleurs, promeuvent la véritable liberté, encore inconnue dans le monde de l’éducation dite libre.

Élever l’enfant en liberté

Élever l’enfant en liberté : la liberté véritable

La liberté véritable, donc, c’est bien plus que la liberté de choix.

« Je suis libre, je peux choisir ! » Le contraire de la liberté, c’est d’être obligé. Voici une définition courante du mot liberté, qui paraît plus satisfaisante que cette autre affirmation spontanée : « Je suis libre, je fais ce que je veux », car ici, il nous semble que c’est l’illusion d’une liberté tout entière assujettie à la tyrannie des désirs de toutes sortes, égoïstes et changeants, à la façon d’une revendication immature d’un enfant rétif. L’expérience montre que la liberté s’éduque, s’apprend. La liberté sans apprentissage est un lionceau qui un jour dévorera.

Bien sûr, définir la liberté comme la possibilité de choisir, c’est induire l’idée d’une volonté plus maîtrisée, mais le choix a besoin d’être éclairé.

Supposons que, ne connaissant rien à la batterie mais voulant en faire, vous vouliez en acheter une et que vous revendiquiez la liberté de choisir celle qui vous plaît ? Lorsqu’on ne sait rien de la batterie, quelle liberté a-t-on ? Aucune ! on est prisonnier de ses petites exigences qui dans quelque semaines nous auront faut regretter notre précipitation.

C’est pourquoi tout demande lumière..

On a donné de la liberté de choix en 1789 et cela a donné une liberté qui s’est crue souveraine par les possibles qui s’offraient à elle, mais elle était dépourvue des lumières nécessaires ! D’où un peuple qui en quelques générations a été dépossédé de tout, y compris de son propre argent et même de sa santé. Libres ! mais entièrement ruinés, jusqu’à l’os.

D’autre part, plus déconcertante, il y a aussi cette phrase d’un grand maître spirituel, saint Augustin : « Aime et fais ce que voudras ! » Là, le champ de la liberté paraît soudain trop ouvert, indéfini, incertain. Il peut faire peur. La liberté comme liberté de choix, c’est plus raisonnable, mieux balisé.

D’ailleurs aimer, on se dit que c’est encore choisir entre tel ou tel, c’est largement attendre que l’être aimé apparaisse. En fait, cette liberté dispose de ce qui se présente, elle choisit mais surtout elle attend quelqu’un à choisir.

C’est très limitatif.

Exercer notre liberté par notre capacité à choisir, nous en avons une expérience immédiate dans un monde centré sur une logique de consommation. Comme les produits sur les rayons d’étalage, c’est à notre portée. C’est facile à comprendre.

Pourtant, il nous faut poser la question de notre liberté de façon plus fondamentale; la liberté de choix peut-elle être vraiment l’expression la plus haute de la liberté ?

La liberté de choix recouvre pratiquement toute les libertés que l’on se donne aujourd’hui. Mais quel genre de personne, en moi, choisit ? Et est-ce vraiment à moi que l’on s’adresse ?

La personne interpellée par un choix est un être de tentation, ce n’est pas forcément moi, pas forcément mon être le plus vrai.

De fait, on peut facilement découvrir que cette grisante liberté-là, de choix, s’adresse à un homme quantifié (à l’aune du politique, du social, de l’économique, c’est le choix du consommateur)… et, pourrait-on prolonger, du religieux : chacun peut choisir sa religion, pourvu que cela reste du domaine strictement privé.

Cette liberté, c’est l’enfer d’une prison bien délimitée

« C’est mon choix ! », et voilà l’individu fermé sur lui-même, ou enfermé dans un rôle, dans une fonction, en dimension réduite, mais aisément repérable et analysable : toutes les statistiques et les estimations peuvent s’emparer de ce choix, l’analyser, l’orienter, le manipuler aussi.

Lorsque la liberté de choisir résume toute liberté, elle rend l’homme à la fois autonome et saisissable.

Il y a un paradoxe étonnant : l’homme « sans lien » est saisissable. Si tout relève du choix, je suis d’une certaine manière suspendu à moi-même et dessaisi de ce qui m’appartient en propre. Mon choix devient une donnée politique, sociale, économique ; une donnée disponible.

Je dépends de ce qui m’est extérieur.

Élever l’enfant en liberté

Ma liberté est comme en roue libre, mais c’est une liberté vide, ou plutôt une liberté pour remplir un vide : choisir, pour exister un peu plus…

Plus je peux choisir, plus j’existe, ce qui me renvoie par exemple à mes revenus : plus je suis riche, plus je suis libre etc. Les gens vraiment libres sont forcément riches, se dit-on. Il y a un pouvoir de choix comme il y a un pouvoir d’achat.

Ainsi, ne voir en la liberté qu’une liberté de choix nous projette violemment dans un règne du quantitatif, de l’avoir. Il est paradoxal de voir des écoles dites libres se situer uniquement dans cette vision et, de ce fait, en venir à l’exact contraire de ce qu’elles prétendent, puisqu’elles se réclament de l’être: discours, mais discours qui ne correspond pas à leur réalité ? Elles sont dans une liberté de choix, c’est-à-dire une liberté quantitative.

Souvent, quand on tente de définir la liberté, on pense d’emblée à une sorte de degré zéro de l’existence, un peu comme « le carré blanc sur blanc » de Malevitch (une toile vide, vendue des millions), degré zéro de la peinture… Notre liberté, point de départ absolu du sens de notre existence… Alors, l’appel à être serait de façon absolue l’appel à être libre : l’important n’est pas de devenir, de s’accomplir. Ce qui passe au premier plan, c’est le fait d’avoir choisi ce que nous sommes devenus. Cette liberté-là se nourrit seulement de l’accumulation des possibles dans un choix donné. Plus il y a de voies possibles, plus forte semble la liberté qui se détermine pour l’une de ces voies. Nous nous reconnaissons libres parce que nous avons choisi : « c’est mon histoire ».

On se croit libre.

Ainsi, plus nous aurions d’amis entre lesquels choisir, plus nous serions « libres ». La liberté serait une multiplication des possibles. Le coq qui a 30 poules serait plus libre que celui qui n’en a que 5. L’homme qui a 50 concubines serait plus libre que celui qui n’a qu’une femme…

Mais là nous butons sur un sentiment étrange : notre regard sur l’autre et sur les choses est falsifié.

Car je me rappelle soudain, au cours des crises, que rien ne peut faire nombre dans le regard que je porte sur ceux que j’aime.

Peut-il y avoir un seul lien vrai s’il en est besoin de dix mille pour faire éclater au grand jour la souveraine autonomie de mon choix, que sont ces dix mille amis s’ils ne permettent de faire surgir qu’une seule véritable amitié ? Nous savons bien que les véritables amis sont nécessairement très peu nombreux. Celui qui dit « j’ai 10 amis » est un menteur ou ne sait pas ce que c’est qu’un ami.

Et puis, qu’est-ce que cette liberté qui se concentre autour du moi ?

Impasse

Et si la liberté était d’un tout autre ordre ? Nous savons qu’il est une liberté qui ne se déploie pas dans l’euphorie des possibles à partir desquels nous pouvons déterminer un choix, nous déterminer, nous limiter en fait.

Pour dire plus encore [s2If !current_user_can(access_s2member_level1)]… La suite dans votre abonnement (cliquez ici). Abonnés, connectez-vous dans le menu. [/s2If][s2If current_user_can(access_s2member_level1)]que la liberté de choix, la liberté de « ce qui est possible pour moi », est limitée, il faut découvrir que c’est parfois au contraire l’expérience de l’impossible qui est fondatrice dans une vie (cf. l’écrivain brillant Marcel Légaut).

Pensons qu’au lieu d’avoir le choix entre 250 paires de chaussures, qui nous laissent comme paralysés, nous pourrions n’avoir aucun choix, tels les Soviétiques condamnés à acheter au Goum, le grand supermarché d’Etat de Moscou, la seule paire de chaussures disponible, par exemple blanche,  fillette, taille 36, même s’ils n’en avaient aucun besoin, mais juste pour pouvoir faire un échange, si l’occasion se présentait. Cet « impossible » conduit à faire preuve d’imagination, chercher celui qui pourra faire l’affaire ; bref : cet impossible oblige à s’ouvrir un horizon.

Une vraie liberté ouvre nécessairement sur une autre.

La liberté de choix, quant à elle, ne conduit qu’à un moi qui se regarde : mon choix me renvoie à moi-même. C’est une impasse.

Les impossibles font émerger une vraie liberté : je puis agir autrement, je peux être quelqu’un d’autre etc. Ce qui est impossible me pousse à dépasser les limites de ce que je pouvais choisir.

Il est une liberté qui se déploie plutôt dans une sorte d’appauvrissement, de dépouillement de tout ce qui nous détourne de ce que nous sommes, de tout ce qui s’oppose au don qui nous fait être. Il s’agit de miser sur l’être. Il n’y a pas de vide à remplir. Plutôt une surabondance à recevoir. Une liberté sans horizon n’en est pas une. On crie dans le vide ! On n’est pas libre, on est perdu. Ainsi la liberté dans son sens le plus originel n’est pas une liberté d’autodétermination à partir d’un néant, ou d’une matière informe.

Élever l’enfant en liberté

Miser sur l’Être

Miser sur l’être, c’est-à-dire répondre. Le Don par lequel je suis, nous l’avons dit, est un don dépouillé de toute exigence accaparante. La valeur du don que je suis tient dans ce détachement. Je n’ai rien à rendre de ce que je suis. Et pourtant, c’est bien à moi que ce don est adressé, c’est en moi qu’il trouve sa raison d’être ; le don que je suis ne me passe pas au-dessus.

La valeur du don que je suis tient aussi dans un lien. Par le seul fait d’être, je suis aussi lié à Celui qui me donne d’être. L’horizon de ma liberté est cet équilibre entre ce détachement et ce lien. Il y a une richesse infinie de ce que je suis, de ce que je peux être et devenir, parce que je peux répondre, parce qu’il y a un lien.

Il y a une fécondité d’être. Et ceci dépasse infiniment la fausse liberté de choix. Je ne coïncide pas immédiatement à ce que l’on attend de moi, ou à ce qui m’est proposé, parce que dans le cadre d’une liberté vaste, on n’attend rien de moi à proprement parler, mais l’on m’attend, d’abord, moi.

Vouloir faire coïncider la liberté à ce que l’on attend de moi, revient à déserter la relation.

Dans un couple, lorsque la femme et le mari attendent l’un de l’autre des fonctions précises, et cela seulement, ils sont dans une relation en fait sans amour. C’est une relation utile et, sans doute, possible. Mais qui ne conduira ni l’un ni l’autre vers la rencontre de sa propre vocation et de la vocation de l’autre.

Ce que l’on attend de moi peut être de diverse nature: ce peut être une image de moi que je me suis fabriquée ou qu’on me fabrique à dessein, ce peut être l’idée que je me fais de la stricte observance d’une loi morale qui fera de moi un être parfait.

Dans aucune de ces voies, un véritable accomplissement de soi n’est possible. L’adéquation à un idéal court-circuite tout lien. Je « corresponds » à cet idéal, mais je ne réponds pas, ni de moi, ni de l’autre, ni à l’autre. Ce que je suis n’apparaît pas, ne peut apparaître. La liberté qui semble être la mienne est une liberté sans amour.

En revanche, il y a une non coïncidence, une « imperfection », qui rend le lien possible, qui féconde d’une certaine façon le don que je suis en me permettant de composer une réponse. Oui, il y a une inadéquation entre ce qui m’est demandé et ma réponse, contrairement à l’animal domestique qui répond tout de suite. C’est cet espace instable, ce monde imparfait, ce déséquilibre entre « ce que je vais faire » et « ce que je devrais faire », qui geste quelque chose, qui porte quelque chose, qui est fécond.

L’espace étroit

Ici, certains se précipiteront pour dire: « Justement, je fais des tas de bêtises dans cet espace inconnu ! » Nous parlons là d’une passerelle étroite qui est le chemin et de laquelle on tombe fort aisément.

Comment éviter la chute ?

C’est dans le temps qui geste le choix que se joue l’engagement. C’est une période où chacun peut juger en son âme et conscience, discerner, ou au contraire réfuter l’engagement personnel et répondre de manière automatique, conditionnée.

Le temps est un grand secret qui permet de ne pas fauter.

Parfois, on est obligé d’agir sur l’instant, mais si une vie entière jusque là a été baignée de discernement, la décision sur l’instant sera éclairée. Si on a laissé l’Esprit saint inonder notre vie, le moment crucial sera inspiré.

Voilà le point.

Élever l’enfant en liberté

Ne pas entrer en lien

Le tiède fait ce qu’on attend de lui, il obéit aux ordres, mais il ne se donne jamais, lui. Il est aux abonnés absents. Il n’entre pas en lien.

C’est là tout le problème qui se pose à l’Humanité, et peut-être de manière plus cruciale au cours des temps modernes : l’homme moderne est sans cesse tenté de répondre par une attitude attendue. Le juge et le gendarme peuvent se cacher derrière la loi, l’avocat s’adapte en fonction des intérêts de son client (du moins on ose le croire), le soldat suit les ordres bref, tout un chacun peut toujours se cacher lui-même à un moment où, précisément, il a à prendre une décision personnelle. Non pas que la règle, la norme, la loi, soient foncièrement à récuser, mais au moment crucial, au moment où la règle pose un problème moral, il est nécessaire d’y ajouter la personne, la conscience incarnée. Toute convention juste doit avoir pour but de justifier la personne en conscience, et non le contraire.

Mais si nous posons la valeur de cet espace d’instabilité, de déséquilibre, n’est-ce pas, comme nous le disions, la porte à la justification des attitudes injustes ? Dans le même ordre d’idée, on pourrait objecter que le « parfait », le « saint », n’a pas cet espace de déséquilibre, il répond immédiatement. Ce ne serait pas exact. Du reste, tout « parfait » a ceci de particulier qu’il ne se juge pas parfait : il sait que sa réponse n’est jamais aussi spontanée qu’il le voudrait. Et c’est justement à la fois cette conscience et ce moment de rétention qui est le gage de sa dimension personnelle, c’est là que se situe sa vraie fécondité. Nous ne sommes pas des chats.

Ce moment précis, comme au tir à l’arc, est un moment fragile, où se situe notre grandeur. La fragilité du Christ enfant dans la mangeoire en est signe: Il s’est mis à notre disposition.

Ainsi, la liberté ne peut aucunement se contenter de code.

Et l’on voit là que le judaïsme et l’islam sont donc très loin d’être en vérité. Suivre un code qui serait « le Bien contre le Mal » n’est pas seulement ce qui nous est demandé, de même qu’on en demande pas seulement au juge d’appliquer « la loi ». Le vol commis par celui qui a faim et le vol équivalent commis par le nanti ne sont pas les mêmes: il faut bien que le juge discerne.

Dans les 10 commandements dont nous avons parlé,

Le judaïsme et l’islam sont sur la voie là où ils admettent un dialogue avec Dieu, et le problème se pose de l’acceptation de la théologie chez les uns et les autres. En christianisme, on a su aussi se fourvoyer dans le jansénisme, l’aryanisme, le protestantisme (qui n’est qu’une branche, sur ce point, du judaïsme); on s’y fourvoie tout autant lorsqu’on et naturellement lorsqu’on oublie les 10 commandements, comme depuis Vatican II dans l’Eglise dite « catholique » (sur ce point seule l’Eglise de la Tradition voit juste).

Autrement dit, on reproche sans cesse à Dieu de ne pas être libre avec Lui, alors justement que c’est Lui qui nous demande d’être en liberté dans Sa Lumière, lumière qui éclaire des choix auxquels nous serions totalement incapables de prétendre sans elle.

Le danger, on le voit, c’est la notion de contrôle et de « connu ».

Dans « Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc », l’auteur, Herrigel, raconte comment, dans une école d’archer, au Japon, un jeune Occidental fut chassé avec interdiction de revenir, après qu’il se soit montré fier d’avoir envoyé sa flèche en pleine cible. Il contrôlait son geste, il avait une « technique » qui lui permettait de toucher la cible. Or, la cible n’est pas le but de l’archer. Le but est le tir parfait. La cible n’est que l’objet. Et le contrôle, par les objets et les techniques, ne doit jamais enfermer la liberté de l’archer. La technique (technê) peut enfermer l’apprenti et le priver de liberté véritable. C’est le danger.

De même, en religion, on brandira le Talmud, la Thora, le Coran en disant: « C’est marqué dedans ». Or, ce n’est pas le problème. Même, c’est dire cela qui est le problème. C’est la fausseté qui consiste à se justifier par un livre là où Dieu offre d’accomplir par soi-même, à l’aide d’un livre. Lorsque le livre cache l’âme, il y a mort de l’âme.

D’où la Parole du Christ: « Et toi, qui dis-tu que je suis ? » Il ne dit pas « Que penses-tu de moi selon ce que tu lis dans le Livre ? » Il interroge l’âme directement.

C’est comme le Code de la Route: le conducteur extraordinaire l’a dépassé. Il le respecte, mais ce n’est pas le Code de la Route qui lui dira sa route. Il doit décider de la route à prendre par lui-même et le code lui a juste donné de ne pas aller dans des sens interdits, des impasses, de ne pas dépasser des limites.

Presque à chaque fois que le Christ brandit le Livre, c’est pour dire aux fauteurs en quoi ils se sont trompés. Il emploie le Livre comme Code, qui en l’occurrence montre ce qu’il ne faut pas faire. Ou il redit ce que le Livre dit sans que ç’ait été compris.

Ses Béatitudes parlent d’autre chose : il reste à accomplir.

Il ne s’agit pas seulement d’atteindre à des buts louables. Il s’agit d’exécuter l’épreuve, se mettre en chemin, accomplir. C’est là que se fait la croissance.

Réfléchissez : c’est exactement comme l’exercice de maths qu’on fait à l’école à la maison : le but n’est pas de trouver le résultat mais de faire faire l’exercice.

La perfection est de ce monde

Parlons un peu de l’Orient, à nouveau. Il faut atteindre l’attitude vraie, immédiatement, sans barguigner, sans « réflexion ». Cela signifie : la voie est longue, il faut devenir tel que la réponse jaillit spontanément.

En vérité, certains y parviennent. Ce n’est pas si rare : vous avez sûrement été justes, lorsque vous avez dit, sans y penser, une parole juste à votre enfant, lorsque vous avez eu le geste parfait, spontanément, en coupant des fleurs ou en saluant un inconnu. Notre vie est aussi emprunte de ces moments parfaits. On a tort de dire que la perfection n’est pas de ce monde. On l’y trouve, parfois. Mais ce n’est jamais pour toujours.

On pourrait livrer cet aphorisme : le temps du travail sur soi est la voie, beaucoup de travail doit être derrière soi sur la voie.

Élever l’enfant en liberté

Le risque est une clé

Donc, il y a un Code, mais ce code ne vous dit pas tout. Les Evangiles ne vous disent pas quoi faire face à cet enfant qui vous sous-tiré la chaise pour lui-même, et que vous êtes tombé par terre grotesquement.

Cet espace de déséquilibre, ce moment risqué où l’on agit alors qu’il n’y a pas vraiment de code parce qu’on est dans l’inconnu, qui est l’espace de liberté, concerne la créature vivante douée de conscience, pour une entrée dans une dimension d’immédiateté, qui est l’éternité.

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