Mots, vocabulaire, syntaxe
Les mots sont importants et parfois, on se trompe. C’est parfois amusant et surprenant. Par exemple, saviez-vous que les enfants qui chantent « Au Clair de la Lune » se trompent de mot ?
La syntaxe n’est pas une matière à part entière, pourtant elle le pourrait presque, tant elle est vaste. Elle n’est même pas une sous-matière. C’est dommage et nous vous proposons de la créer de toute pièce : la matière des mots. Il y a énormément de mots inutilisés en français. On entend souvent dire « il n’y a pas de mots pour ce que je veux dire » et c’est en général inexact, il y a tous les mots nécessaires pour exprimer ce qu’on pense ou ressent ; encore faut-il les [s2If current_user_cannot(access_s2member_level2)]connaître. Le vocabulaire, c’est en français ce qu’il y a de plus riche, et de loin !
Pourquoi tous ces mots ?
L’enfant ne ressent pas le besoin de tous ces mots car sa vie ne l’a pas conduit à s’aventurer sur les mille pistes des raisons et des sentiments. Mais le poète ne peut pas parler de celle qu’il aime avec des mots vulgaires, il embellit, anoblit. Le guerrier érige sa lutte en une page héroïque. L’accidenté exprime son effroi. Chaque situation de la vie inspire des sentiments plus compliqués et riches que ne le rapporte la simple exposition des faits.
Et plus un peuple est subtil, a traversé des événements complexes, a produit de rencontres, commercé, voyagé, travaillé, plus son vocabulaire est riche.
Comparez l’affligeant « cool » américain aux mots français qu’il désigne : frais, bien, bon, gentil, courtois, aimable, sympathique, cordial, avenant, grand, beau, super, extra, dément, génial, renversant, poilant, drôle, gentil, admirable, édifiant, remarquable etc etc. Voyez l’écart !
L’Américain n’a pas tous ces mots ni les autres. Il serait bien en peine de les traduire !
Bref. Nous en reparlerons plus tard mais voyons tout de suite une conséquence à cela: la narration qui se veut objective, oubliant d’employer le mot juste, ne l’est jamais complètement.
Quand on n’emploie pas le bon mot, on trompe. Si l’on dit que tel monsieur est aimable alors qu’il n’est que poli ou courtois, on peut envoyer un enfant qui entend dans le décor.
Mais, et c’est encore plus formidable, voyons aussi que l’objectivité n’est pas forcément la manière la plus honnête de rapporter un événement.
Si vous dites que vous avez fait la traversée de la Méditerranée par mauvais temps sur un vieux cargo avec des gens malhonnêtes, c’est objectif, mais vous ne dites rien de substantiel à ceux qui vous écoutent. Si vous dites que vous avez traversé la mer sur un cargo lugubre qui semblait un catafalque mortuaire, un cercueil flottant, en compagnie d’un équipage sinistre, patibulaire, et que plusieurs fois la tempête hurlante a menacé de vous faire chavirer, que vous avez prié pour que l’électricité ne vinsse pas à se couper, que vous avez été près d’être envoyés par le fond dans l’affreux abîme de l’eau sombre, qu’un marin en particulier semblait vous détester et vous faisait des remarques affreuses, disant que vous n’étiez qu’un bureaucrate qui ne connaissait rien à la mer, et qu’il s’est permis de vous bousculer et de vous prendre directement de l’argent dans la poche, alors votre auditoire sera un peu plus attentif.
Les deux propos n’ont strictement pas grand chose à voir. L’un est objectif, l’autre subjectif mais illustré, imagé, étayé par des mots précis.
Supposez que deux personnes fassent leur rapport à la gendarmerie: celui qui aura le plus de vocabulaire va davantage intéresser et aura plus de chances d’être cru. Croyez-le, c’est extrêmement utile dans la vie.
D’ailleurs, nous avons été confrontés quelque temps à un individu qui manquait de vocabulaire. Les mêmes gendarmes qui nous ont entendus lui et nous, nous ont crus, nous, et non lui. Parce que notre précision et ses balbutiements les ont convaincus que nous disons mieux la vérité que lui. En cas contraire, on peut avoir des ennuis incroyables avec la plus parfaite innocence, parce qu’on n’a pas su se justifier.
Ecoutez autour de vous et voyez: presque personne ne fait spontanément de phrases de plus de 17 mots.
Le parler journalistique, pauvre, ramenant tout à quelques mots autorisés et ridicules, s’impose. Ainsi entend-on qu’un évêque se tient « droit dans ses bottes ». Non, c’est le cavalier qui porte des bottes, ou le militaire. Combien de fois par an avons-nous droit aux discours « nauséabonds » ? Est nauséabond ce qui provoque une nausée et aucun des donneurs de leçon qui emploient ce mot à tort et à travers n’a été nauséeux: il n’a été que choqué, peut-être scandalisé, agacé, révolté.
La richesse du vocabulaire permet d’exprimer la richesse des sentiments. La vie intérieure est plus riche que le simple vécu des faits. Les faits n’ont d’ailleurs presque aucune importance pour ceux qui les vivent, c’est souvent la manière dont ils les vivent qui importe le plus. C’est là qu’entre en scène le vocabulaire. Bien dire, c’est tout changer. C’est retourner un jury, c’est produire un succès, c’est rencontrer les sentiments de l’autre.
Pauvreté et mauvais emplois
Il est certain que la rédaction demande que vous évitiez le style journalistique: la dépêche d’agence est exactement faite pour éliminer tout ressenti, tout sentiment, et livrer les faits bruts. Elle dit que deux gendarmes sont morts en montagne et que leur escadron est resté bloqué dans une tempête de neige durant 24 heures. Point. C’est un fait qui ne vous inspire rien. On ne dit rien de ce qu’ont pu vivre réellement les malheureux. Vous ferez le contraire: détailler, décrire, exprimer les sentiments. Plus l’enfant sera capable de dire de choses de manière variée et riche, plus il sera capable de rapporter des situations et des personnalités différentes.
Devenu adulte, il sera capable de ne pas biffer d’un mot telle personne à cause d’une faute ou d’un défaut, mais d’en avoir une perception plus complète qui associera, à des défauts, des qualités. On admire encore Balzac pour la phénoménale capacité à décrire les sentiments, les personnalités et les tempéraments. Là où notre contemporain dirait « il est zarbi » ou « cet homme est un fainéant », Balzac dirait « à côté de la générosité d’un homme qui n’a jamais rien eu à gagner par l’effort, il avait tout le tempérament du maître habitué à n’éprouver que les besoins et les sentiments qu’on exigeait de lui. » Ce n’est tout de même pas la même chose.
Plus encore, enrichir le vocabulaire de votre enfant va lui éviter bien des déboires. S’il est capable de ne pas mal juger autrui mais de le cerner avec justesse, il s’évitera conflits, bagarres, horions, plaies, bosses, procès, calomnies et diffamations (qui sont choses différentes).
Et vous saurez aussi un jour faire faire à l’enfant des dépêches de journaliste en prenant soin d’enlever toute trace de sentiment; il saura ainsi faire la différence entre les faits et la manière dont ils sont perçus.
Puisqu’on parle de journalistes, vous avez remarqué l’invasion, qui ne date pas d’hier, d’expressions alambiquées, contradictoires, pléonastiques; de mots utilisés pour d’autres, de confusions et, disent les étymologistes, de contaminations. En ces matières, voilà belle lurette que l’Académie ni les écrivains ne gouvernent, ils ne font que suivre et subir les modes. Les dictionnaires intègrent au fur et à mesure des barbarismes ou des trouvailles intéressantes, le Larousse cherche à se distinguer en acceptant un peu n’importe quoi, quitte à retirer le mot ou l’expression quelques années plus tard. Navrant ! car on compte sur un dictionnaire comme sur un roc.
On a aujourd’hui, vous l’avez remarqué, des « espaces verts » insipides, des « espaces santé » au lieu de pharmacies, des espaces de toutes sortes d’ailleurs; des zones aussi; des pôles en-veux-tu-en-voilà d’une sublime ineptie, spécialement le Pôle-emploi qui signe le terminal d’un parcours puisqu’un pôle est une extrémité; il y a aussi les « journées » pour toutes les causes démagogiques et bureaucratiques possibles. « Journée mondiale de la femme », voilà c’est fait, on n’en parle plus… les 364 autres sont pour les hommes. Quant à l’homophobie, elle est devenue un délit par pure ignorance de l’étymologie, ce qui épate de la part du législateur: ce mot avec lequel on pourchasse un sentiment naturel, ne saurait justement désigner un délit puisque la phobie n’est qu’une peur : on ne peut être coupable d’une peur, c’est contraire à tout droit ! Et qui plus est, cette peur est étymologiquement un fantasme, puisqu’on ne peut avoir peur de ce qui est « semblable », ce que veut dire « homo ». Homophobie veut dire « peur du semblable », ce qui est absurde. Mais dans une société qui invente des valeurs chaque année avec des mots improvisés, on n’est plus à cette approximation près. Parions qu’on aura la zoophobie et la pédophobie pour prétendre dire qu’on hait les zoophiles ou les pédophiles, alors que cela ne signifiera que la peur des animaux et la peur des enfants.
La modernité doit beaucoup au jargon. La décadence lui doit tout.
Un autre exemple ? L’empathie, très à la mode. Nous préférons (…) la suite est réservée aux membres accompagnés, pour activer votre accès membre, passez par ici. Déjà membre accompagné ? Connectez-vous dans le menu du site (en cas de souci, voir la FAQ) [/s2If] [s2If current_user_can(access_s2member_level2)] connaître. Le vocabulaire, c’est en français ce qu’il y a de plus riche, et de loin !
Pourquoi tous ces mots ?
L’enfant ne ressent pas le besoin de tous ces mots car sa vie ne l’a pas conduit à s’aventurer sur les mille pistes des raisons et des sentiments. Mais le poète ne peut pas parler de celle qu’il aime avec des mots vulgaires, il embellit, anoblit. Le guerrier érige sa lutte en une page héroïque. L’accidenté exprime son effroi. Chaque situation de la vie inspire des sentiments plus compliqués et riches que ne le rapporte la simple exposition des faits.
Et plus un peuple est subtil, a traversé des événements complexes, a produit de rencontres, commercé, voyagé, travaillé, plus son vocabulaire est riche.
Comparez l’affligeant « cool » américain aux mots français qu’il désigne : frais, bien, bon, gentil, courtois, aimable, sympathique, cordial, avenant, grand, beau, super, extra, dément, génial, renversant, poilant, drôle, gentil, admirable, édifiant, remarquable etc etc. Voyez l’écart !
L’Américain n’a pas tous ces mots ni les autres. Il serait bien en peine de les traduire !
Il y a lieu d’être fier de notre vocabulaire: il s’est diffusé dans le monde entier
Bref. Nous en reparlerons plus tard mais voyons tout de suite une conséquence à cela: la narration qui se veut objective, oubliant d’employer le mot juste, ne l’est jamais complètement.
Quand on n’emploie pas le bon mot, on trompe. Si l’on dit que tel monsieur est aimable alors qu’il n’est que poli ou courtois, on peut envoyer un enfant qui entend dans le décor.
Mais, et c’est encore plus formidable, voyons aussi que l’objectivité n’est pas forcément la manière la plus honnête de rapporter un événement.
Si vous dites que vous avez fait la traversée de la Méditerranée par mauvais temps sur un vieux cargo avec des gens malhonnêtes, c’est objectif, mais vous ne dites rien de substantiel à ceux qui vous écoutent. Si vous dites que vous avez traversé la mer sur un cargo lugubre qui semblait un catafalque mortuaire, un cercueil flottant, en compagnie d’un équipage sinistre, patibulaire, et que plusieurs fois la tempête hurlante a menacé de vous faire chavirer, que vous avez prié pour que l’électricité ne vinsse pas à se couper, que vous avez été près d’être envoyés par le fond dans l’affreux abîme de l’eau sombre, qu’un marin en particulier semblait vous détester et vous faisait des remarques affreuses, disant que vous n’étiez qu’un bureaucrate qui ne connaissait rien à la mer, et qu’il s’est permis de vous bousculer et de vous prendre directement de l’argent dans la poche, alors votre auditoire sera un peu plus attentif.
Les deux propos n’ont strictement pas grand chose à voir. L’un est objectif, l’autre subjectif mais illustré, imagé, étayé par des mots précis.
Supposez que deux personnes fassent leur rapport à la gendarmerie: celui qui aura le plus de vocabulaire va davantage intéresser et aura plus de chances d’être cru. Croyez-le, c’est extrêmement utile dans la vie.
D’ailleurs, nous avons été confrontés quelque temps à un individu qui manquait de vocabulaire. Les mêmes gendarmes qui nous ont entendu lui et nous nous ont crus, nous, et non lui. Parce que notre précision et ses balbutiements les ont convaincus que nous disons mieux la vérité que lui. En cas contraire, on peut avoir des ennuis incroyables avec la plus parfaite innocence, parce qu’on n’a pas su se justifier.
Ecoutez autour de vous et voyez: presque personne ne fait spontanément de phrases de plus de 17 mots.
Le parler journalistique, pauvre, ramenant tout à quelques mots autorisés et ridicules, s’impose. Ainsi entend-on qu’un évêque se tient « droit dans ses bottes ». Non, c’est le cavalier qui porte des bottes, ou le militaire. Combien de fois par an avons-nous droit aux discours « nauséabonds » ? Est nauséabond ce qui provoque une nausée et aucun des donneurs de leçon qui emploient ce mot à tort et à travers n’a été nauséeux: il n’a été que choqué, peut-être scandalisé, agacé, révolté.
La richesse du vocabulaire permet d’exprimer la richesse des sentiments. La vie intérieure est plus riche que le simple vécu des faits. Les faits n’ont d’ailleurs presque aucune importance pour ceux qui les vivent, c’est souvent la manière dont ils les vivent qui importe le plus. C’est là qu’entre en scène le vocabulaire. Bien dire, c’est tout changer. C’est retourner un jury, c’est produire un succès, c’est rencontrer les sentiments de l’autre.
Pauvreté et mauvais emplois
Il est certain que la rédaction demande que vous évitiez le style journalistique: la dépêche d’agence est exactement faite pour éliminer tout ressenti, tout sentiment, et livrer les faits bruts. Elle dit que deux gendarmes sont morts en montagne et que leur escadron est resté bloqué dans une tempête de neige durant 24 heures. Point. C’est un fait qui ne vous inspire rien. On ne dit rien de ce qu’ont pu vivre réellement les malheureux. Vous ferez le contraire: détailler, décrire, exprimer les sentiments. Plus l’enfant sera capable de dire de choses de manière variée et riche, plus il sera capable de rapporter des situations et des personnalités différentes.
Devenu adulte, il sera capable de ne pas biffer d’un mot telle personne à cause d’une faute ou d’un défaut, mais d’en avoir une perception plus complète qui associera, à des défauts, des qualités. On admire encore Balzac pour la phénoménale capacité à décrire les sentiments, les personnalités et les tempéraments. Là où notre contemporain dirait « il est zarbi » ou « cet homme est un fainéant », Balzac dirait « à côté de la générosité d’un homme qui n’a jamais rien eu à gagner par l’effort, il avait tout le tempérament du maître habitué à n’éprouver que les besoins et les sentiments qu’on exigeait de lui. » Ce n’est tout de même pas la même chose.
Plus encore, enrichir le vocabulaire de votre enfant va lui éviter bien des déboires. S’il est capable de ne pas mal juger autrui mais de le cerner avec justesse, il s’évitera conflits, bagarres, horions, plaies, bosses, procès, calomnies et diffamations (qui sont choses différentes).
Et vous saurez aussi un jour faire faire à l’enfant des dépêches de journaliste en prenant soin d’enlever toute trace de sentiment; il saura ainsi faire la différence entre les faits et la manière dont ils sont perçus.
Puisqu’on parle de journalistes, vous avez remarqué l’invasion, qui ne date pas d’hier, d’expressions alambiquées, contradictoires, pléonastiques; de mots utilisés pour d’autres, de confusions et, disent les étymologistes, de contaminations. En ces matières, voilà belle lurette que l’Académie ni les écrivains ne gouvernent, ils ne font que suivre et subir les modes. Les dictionnaires intègrent au fur et à mesure des barbarismes ou des trouvailles intéressantes, le Larousse cherche à se distinguer en acceptant un peu n’importe quoi, quitte à retirer le mot ou l’expression quelques années plus tard. Navrant ! car on compte sur un dictionnaire comme sur un roc.
On a aujourd’hui, vous l’avez remarqué, des « espaces verts » insipides, des « espaces santé » au lieu de pharmacies, des espaces de toutes sortes d’ailleurs; des zones aussi; des pôles en-veux-tu-en-voilà d’une sublime ineptie, spécialement le Pôle-emploi qui signe le terminal d’un parcours puisqu’un pôle est une extrémité; il y a aussi les « journées » pour toutes les causes démagogiques et bureaucratiques possibles. « Journée mondiale de la femme », voilà c’est fait, on n’en parle plus… les 364 autres sont pour les hommes. Quant à l’homophobie, elle est devenue un délit par pure ignorance de l’étymologie, ce qui épate de la part du législateur: ce mot avec lequel on pourchasse un sentiment naturel, ne saurait justement désigner un délit puisque la phobie n’est qu’une peur : on ne peut être coupable d’une peur, c’est contraire à tout droit ! Et qui plus est, cette peur est étymologiquement un fantasme, puisqu’on ne peut avoir peur de ce qui est « semblable », ce que veut dire « homo ». Homophobie veut dire « peur du semblable », ce qui est absurde. Mais dans une société qui invente des valeurs chaque année avec des mots improvisés, on n’est plus à cette approximation près. Parions qu’on aura la zoophobie et la pédophobie pour prétendre dire qu’on hait les zoophiles ou les pédophiles, alors que cela ne signifiera que la peur des animaux et la peur des enfants.
La modernité doit beaucoup au jargon. La décadence lui doit tout.
Un autre exemple ? L’empathie, très à la mode. Nous préférons la sympathie. Pour une raison évidente : sympathiser, c’est en grec « souffrir avec » autrui, ce qui conserve une distance qui permet de porter secours. On exprime sa sympathie à des funérailles, c’est logique. Alors que l’empathie est « entrer dans la douleur », ce qui est quelque peu irréaliste à moins de se plonger un poignard dans le cœur ; et à supposer que l’on parvienne effectivement à se fondre en la douleur de l’autre, on obtient deux malheureux au lieu d’un, ce qui n’aide personne.
Mode des mots jetés au public par quelque médecin, coach à la mode, gourou, animateur de radio tapageuse, ou sociologue qui, pensant se faire un nom, se contente de faire des mots. Rarement judicieux.
On a des pléonasmes tels « tri sélectif » (comment un tri pourrait-il ne pas être sélectif ?), « panacée universelle » (pléonasme car une panacée est un remède à tout), le merveilleux et triple « au jour d’aujourd’hui » (sachant que hui, c’est le jour présent, hoy en espagnol, on a en fait 3 fois le même mot), et puis vous entendez tous les jours l’incontournable « voire même », expression passée dans l’usage. Ce « voire même » pourrait valoir à votre enfant d’être regardé avec commisération dans certains milieux ou écoles, ou dans certaines salles de rédaction. De même qu’on évite « tourner en rond », lui aussi pléonastique. Malgré une tolérance de pur apparat, certaines élites (sérieuses) ont encore des systèmes de filtre qui ne laissent rien passer. Si vous faites deux pas en diplomatie, soyez sûr qu’il y a deux ou trois pontes qui repèrent les approximations et bloquent des carrières pour une mauvaise formulation.
On a aussi « communauté de communes », exécrable redondance (à bien des égards !). Vivement l’administration de l’administration !
On apprend aussi à ne pas dire « réserver d’avance », « l’unanimité complète », « il pleut dehors » qui est assez drôle, et les experts sauront qu’il faut éviter de dire « autrement plus adroit » qui est aussi une répétition, on dira « autrement adroit », ou de prétendre que « le bateau file 10 nœuds à l’heure », de même qu’ils ne consulteront pas « un index alphabétique ».
Vous ferez attention à ne pas dire d’un homme qu’il est hystérique, ce qui est impossible n’étant pas pourvu de l’organe féminin, l’utérus, où les Grecs pensaient que naissait cette démence, et vous ne direz pas d’un prêtre qu’il est un bon bougre, le bougre étant le bogomile auquel on attribuait des relations contre-nature désormais institutionnalisées par la Loi Taubira. Si vous relevez le niveau au-dessus des hanches, vous ne direz plus jamais « sauter du coq au vin », « la nuit porte sommeil », « plein d’argent n’est pas mortel », « les limites dépassent les bornes », « ne pas y aller avec le dos de la main morte », ou « mettre le feu aux étincelles ». Tout cela, on l’entend, on le collectionne, on en rit et ça finit par passer dans le langage. Et « quatres amis » est passé dans les mœurs, hélas ! Figurez-vous qu’on ne dit pas davantage « coupe sombre », puisqu’une coupe se fait dans un bois et qu’elle l’éclaircit, on dit donc « couple claire »; on ne devrait pas parler de la « clôture de la bourse » comme le fait bêtement la radio: une clôture ferme un espace. Ne disons plus « ça a fait long feu » pour « ça a duré », puisque justement faire long feu, c’est en ancien français faire une longue flamme, c’est ce qui arrive à un pétard dont la poudre brûle avec une flamme soudaine au lieu que la mèche permette, après un temps d’attente, l’explosion. Ne dites pas « enfermé dehors » mais forclos. For, fuera en Occitanie antique et en Espagne, dehors aujourd’hui, est ancêtre de « hors ».
C’est bien d’apprendre des langues étrangères, mais mieux vaut savoir d’abord son français, ou sa langue natale, car Dieu sait que chaque langue au monde a ses subtilités et que chacun opère une sélection naturelle de ceux qui sont écoutés avec respect et ceux qui, consciemment ou non, attirent l’indifférence.
Parler une langue étrangère passe par la connaissance de sa propre langue, surtout si cette langue étrangère est européenne, où les filiations et voisinages sémantiques sont foules. Ainsi, les deux tiers de l’anglais viennent du français.
Blague:
— Qu’est-ce qui t’arrive, t’en fais une tête !
— Tu parles ! On a enterré Norbert ce matin.
— Norbert est mort ?!?
— …Non, on l’a enterré vivant, bien sûr.
Vous avez aussi le mauvais emploi de mots, tels « j’ai un intérêt maximum » au lieu de « maximal », si répandu que le combattre semble voué à l’échec. Maximum est un nom, maximal un adjectif, sabre de bois !
On ne peut être « plein d’abnégation » puisqu’une négation est un vide justement, et puisqu’on y est, parlons « d’abnégation de soi » plutôt, car il peut être abnégation de tout autre chose.
J’ai entendu les deux merveilleux « C’est la fin des pâquerettes » et « C’est le fond du plancher ». Imagé. Et j’ai également collecté « On sème des petits cailloux, un jour ça fera peut-être des grandes rivières », « Je ne veux pas vendre l’eau du bébé avant le bain », « Il ne faut pas non plus chercher la chèvre et le chou », « Je ne lui aurais pas donné la confession », « La Bulgarie nia ses grands dieux… », « Il ne se réveillera plus de ses cendres » (sur Europe 1 quand même), « Nous l’avons entendu maintes et maintes reprises », « C’est écrit comme sur du papier à roulette », « Etre au bord du rouleau », « Ne vous faites pas épingler au pilori ». Ces expressions absurdes sont toutes authentiques et si elles ne sont des impropriétés volontaires, elles assassinent impitoyablement leurs auteurs. Vous direz qu’on n’est plus à ça près. J’entendais bien hier un chroniqueur nous dire : « 40 millions de francs nouveaux de l’époque, ça fait 40 milliards d’anciens francs d’aujourd’hui. » On en perd son serbo-croate. Et puis il y a l’admirable mot de Jean-Marie Cavada, que je lui entendais prononcer à un Conseil national : « « Il faut se retrousser les bras ». Les bras m’en tombaient des mains…
Et puis, il y a les authentiques : « Il faut qu’on tire tous dans le même bâteau », « je me suis senti voler des ailes », « redorer le blouson de l’équipe de France », « j’ai peur que ça ce termine en queue de boudin », « on va brûler la peau de l’ours avant de l’avoir vendu », « on va pas vendre la charrue avant d’avoir les bœufs » (et si vous ne nous croyez pas, vous l’entendrez ici avec quelques autres pas mal non plus: https://www.youtube.com/watch?v=k6OL9b9_cz0).
Les enfants sentent les choses, ils aiment bien que le serpent siffle et que le chien aboie, que le tigre feule et que la chouette hulule. Les cris sont un sacré exercice qui défie même les académiciens (voir plus bas).
Ils aiment aussi savoir comment se regroupent les animaux. Ne leur parlons plus de bans de chevaux, de hordes de dauphins, de bandes de merles (vous rectifierez par vous-même).
Si vous ne voulez pas figurer au palmarès du ridicule (qui ne tue pas, il est vrai), il vaut la peine de s’intéresser au sens réel des mots. Ce qui permet à votre fiston, comme notre Evrard-Nil, de nous faire rire en affirmant « qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, sauf peut-être dans les descentes. »
Et vous faites peut-être attention à distinguer les très simples et néanmoins confondus « ici », qui est là où vous êtes, « là » qui est à faible distance et « là-bas », qui est au loin. Dire « venez là » est une impropriété pardonnée, il faudrait dire « venez ici » ou plus justement « venez çà ». Mais bon, nous éviterons le pointillisme syntaxique, n’est-ce pas.
Vous direz sans doute que le poète ou l’écrivain se servent des interdits syntaxiques à foison; oui, mais c’est justement parce qu’il y a un sens précis qu’il est amusant d’en jouer. « Plein de vide », ce fut intéressant en son temps. De même qu’il est amusant d’entendre un Anglais dire « What a nice rainy weather ! » (« Beau temps pluvieux ! ») On rit mieux quand on connaît le sens des mots.
Les mots, ces inconnus
Aimons beaucoup les vrais et authentiques mots, mal connus, pleins de sens, oubliés.
Parmi ceux dont je me souviens le mieux, m’ayant marqué, vient fame. Savez-vous qu’on écrit « un conte de bonne fame » et non un « conte de bonne femme » ? Comme si nos anciens étaient misogynes, ces bons vivants ! Non, la fame, c’est la réputation, venant de fama en latin. La bonne fame, c’est la bonne réputation tandis qu’un endroit mal famé n’est pas fréquentable. En anglais, notez-le, on dit encore « famous », célèbre, descendant de fama. Infamie, infâme : ce qui est connu pour être mauvais.
Les enfants aiment bien savoir des choses comme ça, qui distinguent.
Effrayer, c’est faire sortir du chemin, du frai, faire sortir le gibier, c’est un mot de vènerie. Un périple implique que vous reveniez à votre point de départ, on ne fait donc pas un périple en quittant définitivement un pays. Ulysse fait un périple, Enée fait un voyage.
On pourrait aussi tiquer sur une orientation au nord, puisque l’orient est à l’est.
Route, c’est de la même famille que rompre : pour leurs soldats, les Romains faisaient des routes en ligne droite à travers collines et landes. Ils ouvraient donc des tranchées, ils disaient rumpere viam ; le participe est rupta qui a donné route. La route est donc forcément la route des soldats, en ligne droite. La voie, elle, peut être sinueuse. Les anciens ne disaient jamais route pour les voies, et inversement. On parlait de « voies détournées ». On cherche sa voie, comme Lao Tseu, on ne la chercherait pas si elle allait tout droit ! On sent, on sait qu’elle sera… tortueuse. Et on dit plus facilement « prendre la route » pour un long trajet en voiture, ces chaussées étant plus rectilignes. C’est resté, bizarrement. D’ailleurs, les Chinois écrivent « voie » avec un signe zigzaguant.
Saviez-vous que lorsque vous dites « je reste à la maison », vous faites un pléonasme antique ? Car maison vient de mansio qui signifie « je reste », avant de signifier « lieu où l’on reste » puis « habitation ». Et ce mansio a donné aussi maine, qui signifie maison et qui a donné son nom à un état américain ; mesnil qui est le nom d’une quantité de bourgs (Daumesnil, nom du général, signifiait « de la haute maison »). Le ménage qui en découle, c’est tout ce qui concerne la maison et les gens qui y vivent (vivre en ménage).
La force du latin et du grec
C’est le moment de dire que le latin et le grec sont des aides formidables pour l’orthographe et la compréhension des mots. Dès lors que vous avez fait un peu de latin et de grec, vous en savez beaucoup plus. Et pour conduire sa Foi, quand on est chrétien, le grec permet d’aller beaucoup plus vite et plus haut ! Le français ne rend qu’une petite partie du sens des évangiles.
On essaiera donc de faire faire du latin et du grec aux enfants. Ils n’en perdront rien, même s’ils arrêtent avant le Bac.
Restons à la maison pour noter que les gens casaniers sont des gens qui restent à la maison, la casa, mot latin et méditerranéen. Casanova signifie maison-neuve. Casadesus, nom courant, signifie aussi « maison d’en haut », c’est l’équivalent dans le Midi de Daumesnil au nord ! Casa a donné « chez ». On a dit longtemps « je vais à chez mon amie », c’est-à-dire à la maison de mon amie, avant de faire disparaître le à. Le mas méridional vient de mansio, mais le mas est une ferme. La belle demeure, en Provence, c’est l’oustaou, l’oustau, qui est l’hôtel, dont le doublet est hôpital. Ouastaou et hospitalier sont de même origine.
Vous avez pléthore de maisons en préfabriqué qui revendiquent le titre de mas ou d’oustau. Remarquez, dans les boulangeries, vous avez des traces de farine brûlée qui revendiquent le titre de pain…
Les Français, encore au début du XXème siècle, étaient célèbres dans le monde entier pour leur hospitalité, ils ouvraient leur porte à tout voyageur, qu’il fût sur les routes lumineuses de Provence, dans les chemins creux de Normandie ou les sentes de Vendée. Il y avait toujours un couvert de mis pour l’éventuel visiteur, le plus souvent un pèlerin, car il y avait partout des lieux de pèlerinage. Puisqu’on parle de couvert, savez-vous qu’on se trompe lorsqu’on dit « le gîte et le couvert » ? Ces deux mots veulent dire la même chose : le couvert c’est le toit, la couverture (ce mot existe encore chez les couvreurs). On devrait donc dire « la table et le couvert », le gîte n’étant que l’offre du lit sans repas. Si vous tenez un gîte, vous n’êtes pas obligé de faire un repas.
Richesse insoupçonnée des origines
Prenons un verbe aussi courant qu’aller. Quand vous conjuguez le verbe aller, vous utilisez 3 mots différents ! Je vais, nous allons, et j’irai. Aucune racine commune. Chacune de ces racines se conjuguait jadis, chacune avait un sens particulier.
Vado, « je vais », est de la même lignée qu’« évader », c’est-à-dire s’en aller, et plus précisément vadum signifiait à l’origine aller en ayant pied dans un gué, un haut fond, sur un banc de sable ; gué est de la même famille que vadum car les Gaulois ne savaient prononcer le v et disaient gue, et cela on le note en Bretagne où l’on dit gwen pour blanc et gwin pour vin ; et Vasco est à l’origine à la fois de basque et de gascon. Wilhem en allemand signifie en français Guillaume, on voit bien que le v était un problème pour nos aïeux.
Donc, vado signifiait « j’ai pied », « je vais à pied », on imagine le marin qui saute hors de l’embarcation avant d’atteindre la rive et qui « va » en tirant derrière lui le bateau, il disait « vado ! » C’est devenu « je vais ».
Il y a ensuite « nous allons » qui ne ressemble pas du tout à « je vais ». Cette fois, c’est le verbe ambulare qui signifiait « marcher ». Il a évolué en ambler en ancien français (qui survit dans l’expression « aller l’amble » pour les chevaux). Les dérivés comme ambuler, déambuler sont des formations savantes tardives, elles sont forgées directement à partir du latin.
Une deuxième forme est la contraction alare, en ancien français aler, en français moderne aller. Elle provient de formules interjectives à l’impératif : allamus, allatis.
Adnare a donné nager. Nager, en fait, c’est avancer, dans l’eau. « Nage ! » signifiait sur les bateaux « en avant, avance ! ». L’ordre de la nage signifiait se mettre à ramer, donc on l’a assimilé à l’avancée dans l’eau, d’où l’idée actuelle de natation.
On pense aussi à « arriver », atteindre la rive. Cela montre que la France a été un pays très marin, très imprégné de mots marins, ou fluviaux, puisque les fleuves ont été une richesse extraordinaire de notre pays. On naviguait jusqu’à Orléans, jusqu’à Vaison-la-Romaine qui était un port, alors qu’il ne coule dans l’Ouvèze aujourd’hui pas plus de deux doigts d’eau en été ! Dans la Loire, on voit des bancs de sable partout. C’est nouveau, c’est lamentable. On a abandonné nos voies d’eau, ce qui explique beaucoup d’inondations actuelles.
Et enfin, la troisième racine du verbe aller, c’est ire, qu’on a dans « J’irai ».
Et caetera ! Il y a mille choses, un milliard de choses à dire quand on s’intéresse aux mots. Ils signifient quelque chose, ils ont une richesse, un monde immense qui fait surgir l’histoire et l’imaginaire.
La dictée va être l’exercice qui met en œuvre des mots appris, et dont on connaît le sens, si possible l’origine.
Cherchez des mots nouveaux, des synonymes, des variations à n’en plus finir !
Vos outils de base
Lorsque vous enseignez le français, ayez à portée de main un dictionnaire étymologique le plus imposant possible (le Dictionnaire étymologique de la langue française, ou le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle Larousse si vous l’avez), pour aller fouiller le sens d’un mot que vous raconterez et qui va s’imprimer dans l’esprit de l’enfant. Pourquoi imposant ? Parce que plus ils sont gros, plus ces dicos racontent l’histoire du mot, et rappelez-vous: c’est l’histoire qui nous intéresse, elle permet de retenir. Vous l’aurez pas loin de la cuisine pour aller chercher un mot entendu à la radio. Nous disons aux mamans qui n’ont pas le réflexe de prendre un dictionnaire de s’y mettre, un nouveau mot par jour, c’est génial. Il y a tant de contresens ou de mauvais emploi des mots que vous allez beaucoup vous amuser.
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Avec ces quelques mots que vous aurez dénichés avec les textes de l’enfant et que vous allez voir à fond avec lui, vous aurez peut-être l’impression que vous n’aurez rien vu. Qu’est-ce que 20 ou 30 étymologies ? Détrompez-vous : vous semez. L’enfant ira un jour de lui-même chercher d’autres mots, il aura l’habitude de lire la fin des définitions, où il est écrit ces quelques lettres mystérieuses « étym. : ». Il va comprendre ce qui se cache derrière le sens réel d’un mot et qui fait encore aujourd’hui que bon nombre de linguistes du monde entier admirent le français, langue à la fois poétique et extrêmement précise.
Savez-vous pourquoi les Français sont si subjectifs et les Japonais si précis ? Parce que les Français ont une langue précise qui ne demande pas de confirmation. Alors que les Japonais ont une langue floue qui exige confirmation. Un Japonais demande et redemande, pour être sûr d’avoir bien entendu :
— Ame ga furisô desu nê.
— Ame desu ka.
— Hm, ame desu.
— Sô desu nê, ame ga kuru deshô nê.
Ce qui donne :
— On dirait qu’il va pleuvoir.
— La pluie ?
— Oui, la pluie.
— En effet, on dirait que la pluie arrive.
Voilà quel genre de conversation les Japonais ont. Et quand ils travaillent sur un plan d’architecte, il n’y a pas d’erreur parce qu’ils se sont dit 5 ou 6 fois chaque chose :
— Le mur fait 5 mètres.
— Oui, c’est ça, 5 mètres.
— Puisqu’il fait 5 mètres, nous devons le faire solide.
En revanche, les Français manquent de précision et de précaution, ils parlent beaucoup, en tous sens, parce qu’ils sont compris immédiatement. Il en allait autrefois lorsque, dans les métiers, on répétait les choses. Sans doute qu’on n’avait pas une aussi bonne dentition ni une élocution aussi bien articulée, après le passage d’une peste ou d’une variole. Sur un navire, tous les ordres sont toujours répétés, à cause du bruit, pour être sûr qu’ils sont compris et transmis :
— En avant, toutes !
— En avant, toutes !
Les militaires sont coutumiers ! mieux vaut ne pas se tromper quand on a une arme.
Vous allez, vous aussi, transmettre une précision de langage. D’abord, vous allez cesser de demander des choses sans être sûr qu’elles ont été bien entendues. Nous l’avons dit une fois, nous le répétons. Quand vous demandez quelque chose et que vous avez un doute, demandez à votre enfant ce que vous venez de lui demander.
— Tu as trois exercices à faire.
— Oui.
— Combien as-tu d’exercices à faire ?
— Trois.
— Voilà. A tout à l’heure.
Il intègrera mieux, ainsi, ce que vous voulez. Les malentendus, sources de tant de problèmes graves, seront effacés par anticipation (on disait autrefois « prévenus »).
Ensuite, dans votre enseignement de la grammaire et de la syntaxe, vous apprendrez à votre enfant ce que parler veut dire. Chaque mot a un sens unique. Cacher et dissimuler, ce n’est pas la même chose. Réfléchissons un peu : pourquoi nos ancêtres auraient-ils eu 36 mots pour dire la même chose ? C’est le mélange des parlers, le voyage, les échanges qui ont apporté des synonymes, souvent d’ailleurs avec la même origine. Mais même ainsi, ils ont des connotations différentes. Le mas n’est pas le mesnil, tout de suite on se rend compte que l’architecture, la couleur des murs ou la qualité du couvert n’est pas la même (une tuile ronde n’a rien à voir avec une ardoise…).
Et de tout cela, l’enfant en tirera une fierté. Il dira plutôt « pardon ? » que « quoi ? » et le « quantième » au lieu de l’horrible « combientième ». Il saura qu’il y a le bateau, le navire et le vaisseau. Qu’il y a toujours une raison. Plus on ouvre les champs des origines, plus l’imaginaire et l’intelligence se déploient. Vous verrez, si la question vous intéresse, que nos ancêtres étaient moins coincés que nous et s’amusaient follement avec les mots. Avec des sous-entendus malicieux ou coquins. Tenez, une rue est appelée Petit-musc, à Paris, ce nom ne veut strictement rien dire. Elle s’appelait autrement, autrefois. En savez-vous l’origine ? Je vous la raconte rien qu’à vous, elle n’est pas pour les enfants.
Autrefois, on disait muser, pour « rester chez soi », venant de murer, perdre son temps, venant de de morari, latin signifiant s’attarder, séjourner ou perdre son temps et qui a naturellement donné demeurer. Dans les évangiles, on a parfois ce mot de « demeurer », traduit par « séjourner » avant qu’il soit raconté un départ, c’est insuffisant car en fait le verbe employé par l’évangéliste est aussi « perdre son temps », ce qui justifie le départ qui est rapporté. Au lieu de comprendre « les apôtres demeuraient là », on doit entendre « les apôtres étaient là et s’ennuyaient » !
Un demeuré, qu’est-ce ? Quelqu’un dont l’esprit est resté, n’a pas bougé.
Bref. Murer a donné muser, perdre son temps, puis flâner. De muser on a eu amuser. Envoyer quelqu’un à muser, c’est le promener. Tout se tient ! Amuser veut dire proprement « faire perdre son temps ». « Tu nous amuses avec tes calembredaines ! » disait Vidocq à un prisonnier, pour lui dire qu’il lui faisait perdre du temps, étymologiquement, quoique s’amuser puisse être bien utile pour nos contemporains tristes. Passons.
Eh bien, le verbe muser qui signifie demeurer a servi à nommer une rue, pour éviter que les honnêtes gens ne s’y retrouvent sans en être averti : la « rue de la pute-y-muse », c’est-à-dire la rue où flânent la prostituée, ce vieux nom vous prévenait que la rue était fréquentée par ces dames qui prétendent faire le plus vieux métier du monde (ce en quoi elles se trompent car le plus vieux métier du monde, c’est maman). Peu à peu, son nom a évolué en passant par Petit-musse, parce que le nom gênait.
Le s dans muser était encore avant un r, dans murer. C’est le même phénomène qui a transformé « chaire » en « chaise », corruption sémantique typique de la région parisienne.
La chaire est d’abord là où s’assoit l’évêque, c’est l’ancien mot cathèdre qui a donné cathédrale, précisément l’endroit où se trouve la chaise épiscopale, la chaise marquant le rang de celui qui a l’autorité en l’Eglise, les autres restant debout (autrefois les gens étaient debout à l’église et l’évêque officiait assis). La chaise, figurez-vous, qui s’appelait chaire donc, est un symbole fort ancien, existant à Rome, c’est l’un des attributs des empereurs (j’ai encore en mémoire la peinture célèbre de César assis recevant la visite de Vercingétorix vaincu, illustration de mon CE1, vous voyez comme l’illustration est importante). Avant encore, c’est le trône de l’Egypte ancienne.
Eh bien, ce n’est qu’en avril 2013, c’est-à-dire aujourd’hui, que le François Bergoglio, faux pape d’ailleurs, pour la première dans une Histoire plus que tri-millénaire, supprime la position assise du pape pour recevoir. Au XXIème siècle, l’autorité n’est plus représentée par la position assise. Les chefs d’Etat parlent debout, Obama fait ses discours devant son pupitre. Il y a trois mille ans, cela eût été considéré comme une marque d’instabilité et de préparation à la guerre. Voilà pourquoi l’Eglise a toujours « assis » les relations et les déclarations. Mais le pape François, par cette posture, exprime aussi, discrètement, que l’Eglise se lève et prend le chemin d’un nouveau combat, il relance en même temps la position des pèlerins, debout, évangélisateurs. Cela augure donc d’une nouvelle ère. Quel journaliste le remarque ? Celui qui a un peu d’Histoire et d’étymologie en tête.
Il y a toujours un sens profond, partout, il n’y a pas de hasard. La force des sociétés anciennes, c’était de comprendre et d’incarner le sens. Etonnant voyage des symboliques.
Nous avons voulu exprès vous faire faire un peu d’étymologie, parce qu’il importe que vous aussi ayez un goût pour les belles histoires qui ont du sens et vous apportent quelque chose. Vous ne perdrez plus votre temps avec des contes modernes creux, où tous les mots se mélangent sans raison ni motif. Vous saurez repérer les textes où l’on sait ce que parler veut dire. Molière qui nomme son personnage Tartuffe parle d’un homme particulier, car la tartuffe, ou tartiffle, kartoffel en allemand, c’est la pomme de terre (vous connaissez la tartiflette). Un légume dont l’activité la plus importante a lieu sous terre. Tartuffe mène ses manœuvres à l’abri de la lumière. Il y a un sens chez Molière.
Les Grimm aussi se servent d’anciens contes et légendes, comme Perrault, avec des mots précis, parfois de petites erreurs, telle la fameuse pantoufle de verre qui en réalité est une pantoufle de vair, ce qui n’a rien à voir et se trouve beaucoup plus confortable, moins fragile, moins dangereux aussi qu’une chaussure en verre ! Disney n’a pas cherché plus loin, lui non plus, il a dessiné une improbable chausse en verre !
Cherchons parmi nos écrivains contemporains ceux qui savent ce que parler veut dire. Ils sont très peu nombreux.
La saison, c’est l’époque où l’on sème.
Vous demandez grâce et pitié quand vous dites « merci » (ce qu’on a gardé dans « être à la merci de »).
La salade sans sel n’existe pas, par définition.
Et on ne peut pas « adorer » des pâtes aux œufs !
Pourquoi dit-on billet, qui fait penser à bille, pour un morceau de feuille plate ? Je vous laisse chercher avec votre élève !
*
* *
L’amour des mots, c’est comme étudier le latin, c’est se forger un patrimoine de sens. Et cette précision que vous utiliserez en vocabulaire va aider en latin, si vous en faites. Ce sera aussi un levier important en analyse grammaticale et en analyse logique, où l’on associera des propositions qui tiennent la route. Croyez-le ou non, il y a des oreilles pour entendre, en France comme ailleurs, et quelqu’un qui sait ce dont il parle, qui emploie le mot juste, est très vite repéré. On se pique de parler « populo » et « chébran » mais invariablement, même chez les plus humbles, le langage correct est toujours apprécié et respecté, tandis que le français parlé comme du basque espagnol (et non de la vache espagnole qui par définition ne parle pas) n’a aucun succès durable.
Vous n’êtes pas non plus obligé d’en faire de trop et couper votre enfant du discours ambiant; s’il dit « plaît-il ? » comme mes neveux, au lieu de « pardon ? », c’est le ridicule assuré. Et si septante, octante et nonante étaient de rigueur avant Victor Hugo, aujourd’hui on ne les emploie qu’en Belgique, où ils sont incontournables. Il faut savoir évoluer avec son temps, mais en n’en prenant que ce qui est de qualité, beau, intelligent. Il y a de beaux et justes mots nouveaux.
Le vocabulaire, c’est la liberté.
Concluons en disant avec force qu’augmenter le vocabulaire d’un enfant, c’est augmenter sa liberté. Plus il aura à sa disposition des mots, plus il aura de sens, et donc de subtilité, de variations, donc de discernement, de moyens de saisir les enjeux de la vie, d’appréhender des solutions, d’imaginer etc. Les mots sont les vecteurs centraux de notre intelligence. Plus il y a de mots, plus il y a d’intelligence. Moins on a de mots, moins a de liberté de pensée et plus on est prisonnier des autres. Le vocabulaire, c’est la liberté.
Bonus n°1: les cris des animaux
Vous pouvez jouer à vous poser la question: quel est le cri de… ? Un ancien instituteur rappelle:
le coq chante, cocorico !
la poule caquète,
le chien aboie,
le cheval hennit,
le bœuf beugle
la vache meugle,
l’hirondelle gazouille,
la colombe roucoule,
le pinson ramage.
Les moineaux piaillent,
le faisan et l’oie criaillent quand le dindon glousse,
La grenouille coasse mais le corbeau croasse et la pie jacasse.
Et le chat miaule comme le tigre qui, aussi, feule,
l’éléphant barrit,
l’âne brait, mais le cerf rait.
Le mouton bêle évidemment et bourdonne l’abeille.
La biche brame quand le loup hurle.
Tu sais, bien sûr, tous ces cris-là mais sais-tu ? Sais-tu ?
Que le canard nasille – les canards nasillardent !
Que le bouc ou la chèvre chevrote.
Que le hibou hulule mais que la chouette, elle, chuinte.
Que le paon braille, que l’aigle trompète.
Un tableau:
Nom animaux | Cri (verbe conjugé) |
abeille | bourdonne ou vrombit |
aigle | trompette ou glatit |
albatros | piaule |
alouette | grisolle, turlute ou tirelie |
âne | brait |
baleine | chante |
bécasse | croule |
bécassine | croule |
belette | belote |
bélier | blatère |
boeuf | beugle, mugit ou meugle |
bouc | béguète ou bêle |
brebis | bêle |
buffle | beugle, mugit ou souffle |
caille | cacabe, carcaille ou margote |
canard | cancane ou nasille |
cerf | brame, rée ou rait |
chacal | jappe, piaule ou aboie |
chameau | blatère |
chat | miaule, feule ou ronronne |
chat-hurlant | hue |
chauve-souris | grince |
cheval | hennit |
chèvre | bêle ou béguète |
chevreuil | brame, rée ou rait |
chien | aboie, jappe, hurle, gronde ou clabaude |
chien de chasse | crie ou clatit |
chiot | jappe ou glapit |
chouette | ulule, hue ou chuinte |
cigale | craquette ou stridule |
cigogne | craquette, claquette ou glottore |
cochon | grogne ou grouine |
colombe | roucoule |
coq | chante, coquerique ou coqueline |
corbeau | croasse |
corneille | craille ou graille |
coucou | coucoue ou coucoule |
crapaud | coasse |
criquet | stridule |
crocodile | lamente ou vagit |
cygne | trompette ou siffle |
daim | brame |
dauphin | émet des sifflements |
dindon | glougloute |
éléphant | barète ou barrit |
épervier | glapit ou piaule |
étourneau | jase |
faisan | criaille |
faon | râle |
fauvette | zinzinule ou babille |
geai | cacarde, cajole ou jase |
gélinotte | glousse |
grenouille | coasse |
grillon | grésille ou craquette |
grive | babille |
grue | glapit, trompette, craquette ou craque |
guêpe | bourdonne ou vrombit |
héron | hue |
hibou | hue, ulule ou bouboule |
hippopotame | grogne |
hirondelle | gazouille ou trisse |
hulotte | hue, hôle ou lamente |
huppe | pupule |
hyène | hurle ou ricane |
jars | jargonne ou criaille |
lama | hennit |
lapin | clapit, glapit ou couine |
lièvre | vagit ou couine |
lion | rugit |
loup | hurle |
marmotte | siffle |
merle | siffle, flûte, jase ou babille |
mésange | zinzinule |
moineau | pépie |
mouche | bourdonne ou vrombit |
mouton | bêle |
oie | criaille, siffle ou cacarde |
oiseau | chante, pépie, gazouille, babille, ramage ou siffle |
otarie | bêle, grogne ou rugit |
ours | gronde, grogne, hurle ou grommelle |
panthère | rugit, feule ou miaule |
paon | braille ou criaille |
perdrix | cacabe ou glousse |
perroquet | ase ou craque |
perruche | jabote |
phoque | bêle, grogne ou rugit |
pie | jacasse, jase ou cajole |
pigeon | roucoule ou caracoule |
pingouin | jabote |
pinson | ramage ou siffle |
pintade | cacabe ou criaille |
porc – cochon | grogne, couine ou grouine |
poule | caquette, glousse ou crételle |
poulet | piaule |
poussin | piaille |
ramier | roucoule ou caracoule |
rat | couine ou chicote |
renard | glapit, jappe ou trompette |
rhinocéros | barète ou barrit |
rossignol | chante, gringotte ou rossignole |
sanglier | grommelle ou nasille |
sauterelle | stridule |
serpent | siffle |
singe | crie, hurle ou piaille |
souris | chicote ou couine |
taureau | beugle, meugle ou mugit |
tigre | feule, miaule, rauque ou râle |
tourterelle | gémit, roucoule ou caracoule |
vache | beugle, meugle ou mugit |
zébre | hennit |
Bonus n°2: liste de mots français d’origine gauloise
Nous avons créé cette liste amusante qui donne aux enfants une idée de ce qu’est leur langue et de ce qu’elle était en Gaule. Vous pouvez là aussi jouer en proposant plusieurs mots et en demandant à l’interlocuteur de deviner quel mot est gaulois:
acheminer, agnetz, agnières, ajonc, alise, alisier, alize, alose, alose (poisson), alouette, alpe, ambassade, ambassadeur, ambassadrice, amélanche, amélanchier, andain, ardenne, ardoise, argenton, ariège, armorique, arpent, arpentage, arpenter, arpenteur, aure, aurochs, autheuil, auvent, aven, avon, avre, ayn, bac, bâchage, bache, bâche, bachelier, bâcher, bâcholle, bachot, bachoteur, bagnole, bal(l)e (céréal.) , balai, balayer, bale, banne, banne (ou benne), bannette, baquet, baqueture, bar, barde, barder, barge, barque, barrage, barre, barreau, barreur, barrière, barrot, bassin, battre, bauge, bec, bécard, bécasse, bécot, becquée, becqueter, becter, bédane, béjaune, benne, ber(s), berceau, bercer, béret, berge, berle, berne, bétoine, bief, bièvre, bièvre (castor) , bille, bille (de bois), billot, bitume, blache, blair, blaireau, blaireauter, blairer, blé, boisse, boisseau, boiton, bonde, bondelle, bornage, borne, borner, bouc, bouche, bouchée, boue, bouge, bouge (besace) , bougette, bouleau, bourbe, bourbeux, bourbier, bourbon, bourdaine, bourgène, bouse, braguette, brai, braie, braies, brais, bran, bran, bren, branche, brasser, bray, breuil, breuil (champ) , brice, brigand, brigandage, brigander, brin, brio, briser, brissarthe, broc, brochet, bruc, bruyère, budget, buzancy, caboulot, caen, cagoule, cahuzac, caillou, cantal, canton, carriole, carrosse, cavalier, cervoise, chai, chamois, changer, chant, char, charançon, chariot, charpente, charpenter, charpentier, charrette, charrue, chemin, chemineau, cheminement, cheminer, cheminot, chemise, chênaie, chêne, chétif, chétiveté, chétivisme, cheval, chevalerie, chevalet, chevalier, chevaucher, claie, clayère, clayette, clayon, clayonnage, clérac, cloche, cloian, cloyère, combe, cormier, coule, craindre, cran, crave, crème, créner, creux, cuculle, daim, daraise, dard, dartre, décombres, doubs, douve, douve (ver), draine (oiseau), drap, drèche, droue, drouille, dru, drue, druide, dun, -dun, dune, écobuer, embourber, encombrer, engouer, érable, essonne, étain, exoudun, falourde, fragon, froigne, gaillard, galerne, galet, galoche, garenne, garrot, garrot (encolure), garroter, gaspiller, gaver, gavot, givre, glaise, glaive, glaner, gobelet, gober, gord, gosier, gouge, grève, guenille, habiller, hautecombe, if, ifs, isard, isches, issoudun, is-sur-tille, jable, jabot, jachère, jaillir, jante, jaro(u)sse, jarret, javart, javelle, javelot, joue, lance, lande, landier, lantanier, laudun, lause (ou lauze) , lauze, liais (pierre), libage, lie, lieue, limande, limeux, limon (brancard), lise, lo(t)te, loche, loche (poisson), loir, losange, lotte, luge, magouille, mailly, maint, maintes, mantallot, manthelan, marcotte, margouillat, margouiller, marnage, marne, marner, marnière, masque, matras, mégot, mègue (petit-lait), mine, mine (métal), motte, mousse, mouton, musser, nay, noé, noue, orne, orteil, palefrenier, palefroi, parc, patte, petit, pièce, quai, quatre-vingts, quinze-vingts, raie, raie (sillon), rayer, renfrogner, roche, rocher, rouanne, royans, ruche, sagne, sagum, saie, saône, sapin, save, sayon, séran, sillon, slogan, soc, sotch, souche, soue, suie, sylphe, tacon, taloche, talus, tamis, tan, tanche, tanière, tannage, tanner, tanneur, tannin, taranche, tarière, tavel, thier, tille, tomme, tonne, tonneau, tonnelet, tonnelle, touque, toutatis, trogne, trou, truan, truand, truandage, truander, truie, truite, ure, uxelles, valet, vandoise, vannage, vanne, vanneau, vanner, vannier, vassal, vassaliser, vassalité, vasselage, vautre, vavasseur, vélar, vergne, vergobret, verne, vincennes, virole, volvestre, vouge.
Un très bon dictionnaire en ligne: Lexilogos.
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