Maîtrise du Verbe
Très juste:
« Effectivement, les rédactions ont disparu de nos classes… Et c’est vrai que la littérature occupe une place ridicule… au mieux, nous étudierons quelques passages de certains ouvrages… je suis la première à le regretter. Comprenez-moi, il y a anglais, bibliothèque, piscine, et puis informatique, sans parler du permis vélo, de la séance de cinéma, de la conteuse, de la galette des rois, de la sortie patinoire, du carnaval et j’en passe…. Je n’ai plus le temps concrètement pour les fondamentaux. C’est la triste réalité.
Le stylo plume ? utilisé par quelques rares élèves, nous ne pouvons l’imposer aux familles…. Les cahiers ? une bagarre de chaque jour pour qu’ils soient bien tenus.
Le constat : les enfants de ma classe n’arrivent plus à produire des phrases qui ont du sens. Ils ne se relisent plus non plus. Le vocabulaire est pauvre. Ils ont beaucoup de mal à se poser, à verbaliser. Ils me parlent de « trucs » et de « machins », à moi de deviner la suite…
Je les reprends systématiquement. Je ne parle pas de l’orthographe.
L’utilisation du « vous »… je suis la seule maitresse à l’imposer en classe. Cela les oblige à travailler leur conjugaison… car l’air de rien, ils ne connaissent plus que le « tu » et surtout le « on »…
Nous travaillons énormément en utilisant le dictionnaire. Nombreux sont ceux qui n’en possèdent pas chez eux. A quoi cela peut-il servir ? papa a un ipad… (réponse d’un de mes élèves).
Pour mes filles, je n’ai pas encore démarré la rédaction, mais cela ne devrait pas tarder, et j’aime la progression que vous proposez.
Merci pour vos bons conseils. »
Rémy et Cécile says:
12 février at 17 h 56 min (Edit)
« Merci de souligner ce point. Il est certain qu’en meublant de mille choses l’emploi du temps, on en retire à l’essentiel. La maîtrise du verbe est vitale pour celui qui veut être indépendant. C’est aussi vital pour développer sa personnalité, sa beauté intérieure, sa grandeur, et puis sa souveraineté personnelle, disons même sa royauté. Comment voulez-vous vous conquérir vous-même si vous ne vous gouvernez pas ? Et comment vous gouverner si vous êtes dans la confusion ? Les prêtres de l’Agora, les scribes de Thèbes, les lamas du Haut-Pays savent tous que le Verbe est la clé du pouvoir et de la puissance. C’est plus fort que l’argent, contrairement à ce qu’on pense souvent.
Voilà pourquoi le système n’a aucun intérêt à laisser un enfant baigner dans l’écrit, la narration, la syntaxe.
Encore moins l’étymologie qui, pourtant, donne une immense joie d’apprendre: quel bonheur de savoir que règle, régiment, régie, ériger, rectitude, directeur, direction, régulier, dirigeable, dresser, roi et reine, règne, correct, surgir, érection, sourdre, ressource, résurrection et plein d’autres, sont des mots qui viennent tous de la racine reg qui signifie tracer une ligne, une droite, conduire droit. Un roi est à l’origine quelqu’un qui conduit son peuple de manière droite. Si vous savez raconter chaque mot, c’est un bonheur et un sens qui entre dans l’esprit.
Et l’éloquence ! plus un enfant la pratique, plus ses idées s’affinent, mais aussi: plus il est sûr de lui, il acquiert une confiance qui est précieuse, car cette confiance lui permettra de se fixer des paris plus audacieux, des études plus difficiles etc.
Vous direz: je donne de l’amour, ça lui donne toute la confiance nécessaire. Mais voilà: la société ne lui en donnera pas, et il va se trouver brisé, humilié ou au moins diminué, il va perdre sa confiance en lui-même et finira par penser que votre amour le met en porte-à-faux vis-à-vis de la société. C’est pour cela que vous avez plein d’ados en révolte: la société ne flatte pas l’amour qui leur a été donné, au contraire !
En revanche, elle honore instinctivement le savoir, l’éloquence, le verbe en général.
Oui, la maîtrise du verbe est un atout.
Par conséquent, donnez de l’amour ET de la connaissance; la première, c’est le langage. Le livre, le discours, la narration. Vous pouvez très bien diminuer un peu l’écrit pour favoriser l’oral. Que l’enfant ait une richesse de vocabulaire, il aura conséquemment une richesse de sentiments.
Soyez certains d’une chose: les sentiments, au XIXème siècle, étaient plus hauts, plus subtils, plus riches, plus nobles, et ceux d’aujourd’hui sont plus ‘animaux’, à cause d’une perte du langage.
Aujourd’hui, quand c’est bien, c’est ‘cool’, c’est ‘trop grave’, c’est ‘énorme’. Point. C’est affligeant de pauvreté. On voit ainsi disparaître 100.000 mots différents pour exprimer les choses. Donc, un truc, quand votre enfant dit « c’est trop cool », demandez-lui: « Que veux-tu dire par là ? » La réponse, au début, est presque toujours « Je sais pas, moi, il est trop cool, ce type ! » Suggérez d’autres mots: « tu veux dire charmant, aimable, poli, cultivé, vertueux, drôle ? Ou délicat, attentionné, précis, doué ? Dis-moi, je ne vois pas bien. »
Dans l’enseignement, s’il fallait tout supprimer, il ne devrait y avoir essentiellement que ce verbe; même savoir compter vient après. Toutes les sociétés antiques ou traditionnelles ont d’abord donné la clé du langage, qui est celle du trésor de l’âme, et donc la gouvernance de soi et des autres. Cela, les stratèges qui nous gouvernent dans l’ombre le savent très bien. Voilà pourquoi ils dispersent.
Il est dur de savoir dire non, quand la proposition n’est pas violente: on vous propose les choses sous le jour de la pédagogie, du programme. Les pires poisons sont des poisons lents. »