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Débattre de l actualité à l école, Anne Coffinier

Peut-on débattre de l’actualité à l’école ? par Anne Coffinier


Question devenue épineuse que celle de l’actualité à l’école. Des parents nous posaient récemment la question: « Peut-on parler de l’actualité à nos enfants et comment ? » Cette question est devenue brûlante après l’interdit de débat lancé par le gouvernement à l’adresse des écoles catholiques, alors que, de son côté, il ne se privait pas de lancer des campagnes au sein des écoles pour faire avancer ses propres idées; qui elles-mêmes se trouvaient désavouées par les plus grosses manifestations que notre pays connaissait. Nous ne développerons pas ici la question d’actualité elle-même. Anne Coffinier, que nous connaissons depuis l’époque où nous faisions l’école à la maison dans le sud-ouest et avec qui nous échangions tandis qu’elle couvait son immense œuvre (voir en fin d’article), a aussi cette capacité à expliquer les choses de manière simple. L’amie Anne nous donne sa réponse à la simple question : « Peut-on débattre de l’actualité à l’école ? »

Actualité à l’école: en parler ou pas ?

La question du débat à l'intérieur de l'école: oui, mais pas forcément sur l'actualité à l'école et pas à tout âge: l'école ne doit pas formater. Par Anne Coffinier. https://l-ecole-a-la-maison.com

Anne Coffinier : À travers l’éducation civique, l’étude de la littérature, l’histoire et la philosophie, les questions sociétales et politiques sont régulièrement abordées par l’école. Ce n’est pas nouveau, l’école antique déjà pratique ces discussions.

En principe cependant, pour des questions de maturité qui se comprennent, ces thèmes sont surtout traités en fin de collège et au lycée. Lorsque vous étudiez Tartuffe de Molière ou les Pensées de Pascal en français, lorsque vous étudiez en philosophie « Dieu existe-t-il ? »…, il est évident que vous ne pouvez et ne devez pas mettre de côté la dimension politique corollaire au questionnement philosophique.

En revanche, on considérait jusque récemment qu’il s’agissait d’étudier des débats situés dans le passé, dans un cadre historique bien délimité, non pas de débattre sur des questions contemporaines. Ce n’est pas par goût de l’archaïsme mais parce que cette mise à distance des questions politiques est des plus utiles : elle évite que la réflexion soit polluée par les passions, elle permet de fonder le débat sur la raison, non sur l’affect.

Actualité à l’école: pour quel engagement ?

Aujourd’hui, la raison est la grande perdante dans cette tentation actuelle qui consiste à vouloir débattre de sujets d’hyper-actualité. Ainsi, si l’on est particulièrement attaché à la formation de l’esprit critique et du discernement des élèves, il faut se garder de pousser les élèves à s’exprimer publiquement sur des sujets brûlants et leur demander plutôt de former leur esprit critique sur des questions morales classiques qui ne nécessitent aucun engagement ou prise de parti personnels. Ce qui importe, c’est d’habituer les élèves à penser, c’est-à-dire à poser les problèmes rigoureusement, à peser le pour et le contre, à comprendre pourquoi et comment un problème politique ou moral s’est posé dans l’histoire et comment il a pu se poser différemment dans le temps.

Le but de l’école est avant tout de former l’esprit de l’enfant, sa capacité logique et critique. Elle n’est surtout pas de le convaincre de telle ou telle option philosophique ou éthique contemporaine, si l’on met de côté l’enseignement des règles fondamentales nécessaires à la vie en société qui font l’objet d’un consensus chez les adultes. Il n’y a donc… pas d’urgence à débattre de l’actualité pour des enfants et même des adolescents.

Mieux vaut laisser à l’enfant le temps de réfléchir tranquillement à ces questions sans se prononcer publiquement, par exemple dans le cadre de débats cornaqués par les professeurs sous le regard de ses camarades ! Ces pratiques de débats publics chez des êtres dont la conscience morale et politique est précisément en cours de formation me semblent dangereuses dans les écoles primaires et secondaires. Elles ne peuvent que conduire à une manipulation des enfants.

Etre formé pour mieux débattre

Pour débattre valablement d’un sujet, il faut déjà maîtriser des connaissances solides dans le domaine concerné. Sinon, on ne peut avoir qu’une parodie de débat, politiquement dangereuse et pédagogiquement vaine. Ainsi, à quoi bon débattre sur le mariage homosexuel lorsqu’on n’a pas assimilé ce qu’est une institution, quelles sont les différentes manières de définir le rôle de l’État dans le domaine moral, bref lorsqu’on manque de culture juridique et philosophique ?

La neutralité du débat est radicalement impossible dans le cas présent qui nous intéresse, car le gouvernement lui-même dit haut et fort qu’il entend orienter le débat. Celui-ci veut « s’appuyer sur la jeunesse » pour « changer les mentalités ».

En réalité, c’est donc lui qui choisit les orientations. Ce n’est plus la famille, l’école et la société adulte qui éduquent la jeunesse. Contrairement à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, c’est donc désormais l’État en France qui se pose en seul détenteur de la vérité. C’est parfaitement inadmissible dans une société libre. Lorsque le ministre Vincent Peillon s’appuyait sur la jeunesse comme moteur révolutionnaire, renouant avec l’esprit de 1968, le gouvernement sortait à l’évidence de son rôle légitime : il instrumentalisait la jeunesse à des fins politiques. Il abandonnait et abandonne encore clairement l’exigence de neutralité, qui constitue pourtant l’obligation première de l’Éducation nationale.

Anne Coffinier, présidente de la Fondation pour l’école.

Reconnue d’utilité publique en 2008, la fondation attribue des aides financières à des écoles indépendantes. Elle coordonne l’action de Créer son école, association apportant une aide technique et juridique aux parents et aux professeurs créateurs d’écoles, ainsi qu’à l’Institut libre de formation des maîtres (ILFM).

Et une fois que l’enfant est au courant du fait de société ?

Voyons à présent la question d’une maman:

Bonjour Rémy et Cécile,
En récupérant ma fille à l’école ce midi pour le repas, je l’ai trouvée très perturbée et elle m’a confiée avoir été extrêmement affectée par les évènements survenus à Paris Vendredi et dont il avait été débattu à l’école (actes terroristes du vendredi 13 nov 2015). Elle était triste, voir choquée mais elle avait du mal à faire le tri entre les explications de l’enseignant et les opinion des parents d’élèves désireux de s’épancher. Elle me demandait mon avis sur la question et de l’aide pour lui remettre les idées au clair. Je lui ai dit que pour l’instant l’urgence était de se nourrir et que nous nous poserions calmement ce soir pour en discuter. Cependant, depuis votre article sur l’actualité racontée aux enfants, je suis un peu perdue. Je veux bien partager mon ressenti avec ma fille mais ne serait-ce  pas la pousser dans une direction qui ne correspond qu’à moi et ne serait peut-être pas celle de ma fille si elle était en âge de se faire sa propre opinion? Je ne sais plus si je la manipulerais d’une certaine façon ou si je lui permets ainsi de se construire un schéma de réflexion.
Qu’en pensez-vous?
Merci,
M.

Bonjour M., mieux vaut dans ces cas répondre assez vite, lors de ce déjeuner. Vous devez dire ce que vous ressentez et pensez puisque l’enfant est maintenant au courant. Vous donnez votre sentiment, avec votre sensibilité, vous ne pouvez pas rester dans la neutralité. Mais pensez à étager votre propos: le ressenti des faits, l’explication des faits, les intentions supérieures et le devoir du politique. Ainsi, vous élèverez le propos en éloignant de la douleur.
Vous savez, tout propos « manipule ». Mieux vaut que ce soit vous plutôt qu’un autre.

En effet, tout propos est subjectif et exprime forcément une manière spécifique de dire les choses, avec des mots et un éclairage particuliers. C’est votre rôle de parent de donner à l’enfant votre éclairage à vous, en essayant de ne pas sombrer dans un excès sentimental, ou un excès politique, ou religieux. Essayez d’être suffisamment « neutre » sans pour autant être « froid ».

Il est certain qu’élever le propos au niveau des intentions supérieures évite l’effondrement de l’enfant et aiguise son sens du bien général.

AmicalementRémy, Cécile et les parents de l-ecole-a-la-maison.com

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