Origine des vœux


Que veut celui qui envoie des vœux ? que valent-ils, ces vœux ?

Voilà une allitération dont vous avez peut-être instruit votre enfant.

Mais sur le fond, pourquoi envoyer des vœux ? Aident-ils à quoi que ce soit ? Et quand faut-il les envoyer : en décembre ou en janvier ?

Nous allons voir que l’Histoire répond à ces questions.

Nous trouvons qu’en envoyer par e-mail n’est pas génial, on en reçoit de partout, de tas de sites commerciaux par exemple.

Le vœu de bonne année se banalise. Il perd de son intérêt.

Ce n’est pas pour autant que nous voudrions les supprimer, ils sont bien agréables, surtout envoyés par courrier, au dos d’une belle carte qui, le cas échéant, peut aider une association philanthropique ou une congrégation luttant contre la lèpre. Ou votre petit dernier, si vous avez eu l’idée de lui faire entamer une collection, et qui bientôt deviendra un expert de la peinture religieuse du 15ème au 19ème siècle.

La Révolution française souhaitant chasser ce qu’elle considérait être une hypocrisie et jugeant que les vœux étaient frivoles, avilissants et bourgeois, la Convention abolit le jour de l’An et interdit pendant six ans à quiconque de présenter ses vœux, en personne ou par courrier.

Remarquez, il y a bien des gens aujourd’hui qui sont licenciés par avoir cliqué sur un like ! Et un like, c’est une approbation, une sorte de vœu que l’idée émise progresse, soit plus connue.

On sait que les révolutionnaires de 1789 tentèrent d’interdire aux Français le vouvoiement et l’usage de Monsieur ou Madame. On sait moins que le parfum et le maquillage étaient suspects et qu’ils tentèrent aussi d’interdire socialement l’envoi de vœux de Nouvel An.

Ainsi, le Secrétaire des républicains qui paraît sous la Révolution se donne comme mission non seulement d’imposer le tutoiement et de supprimer systématiquement les usages établis sous l’Ancien Régime. « Nous ne sommes plus au temps du cérémonial », explique son auteur, qui rappelle qu’il faut désormais cesser d’envoyer à ses parents des vœux de bonne année, « cette lettre ridicule et bizarre » dont la politesse ancienne faisait une obligation : « Je ne crois pas, écrit ainsi un fils à son père que tu sois fâché de ne plus [les] recevoir […]. C’est un usage que le républicain doit annuler. Les bienfaits d’un père sont autrement [précieux]; il n’y a point de jour marqué pour lui témoigner la reconnaissance qui, dans un fils, doit être continuelle… » Et le père d’opiner, en réponse : « Combien d’hypocrisie ! Que de faux baisers ! Il faut que le vice n’ait plus de subterfuges, et la vertu n’a plus besoin d’époque ».

Ce qui, dans ce manuel de correspondance républicaine, semble n’être qu’une recommandation prend dans la vie quotidienne un tour parfois plus menaçant. Trois ans plus tard, la République proclamée, la célébration du Jour de l’an — qui correspondant au 12 nivôse dans le calendrier républicain — est interdite : « La mort à qui fera des visites ! » commentent les Goncourt, historiens aussi partiaux que perspicaces. « La mort à qui osera des compliments ! Et les gouvernants vont jusqu’à faire décacheter, ce jour-là, toutes les lettres à la poste, pour s’assurer si tous ont bien oublié le calendrier grégorien et les souhaits de bonne année ». Plus que des historiens, les frères Concourt sont des romanciers, et l’on sent qu’ils dramatisent à plaisir la situation. Pourtant, le fait est que ceux qui célèbrent le « Jour de l’an » sont désormais des suspects, comme le note un agent secret du ministre de l’Intérieur dans un rapport du 31 décembre 1793 : « L’Ancien Régime n’est pas encore supprimé dans les cœurs. On voir partout à Paris les trois quarts des citoyens s’apprêter pour souhaiter une bonne année. » Le lendemain, un autre mouchard, Rolin, confirme dans son rapport : « Les anciens préjugés ont bien de la peine à disparaître. On a remarqué que, quoique l’année [républicaine] soit déjà au quart, beaucoup de citoyens ne la considèrent encore que commençant en ce jour. Les visites ont existé presque comme de coutume dans les rues mêmes on a entendu des citoyens se souhaiter une bonne année » — ce qui est un comble, et une information qui mérite d’être rapportée au ministre. « Il faut du temps, conclut Rolin, pour oublier des préjugés, des habitudes que nous avons contractés en naissant ».

Source : Histoire de la politesse, de Frédéric Rouvillois, pp. 38-39.

Mais revenons à nos vœux, ceux de bonne année

La grande question, et ce qui fait qu’ils dureront ou non, c’est : quelle est l’intention ?

Entre amis, ils sont surtout un signe d’amitié. Mais jadis, ils marquaient un moment qui avait été fort attendu.

A l’époque romaine primitive, on s’adressait des présents (faisceaux de branches ou fétus de paille symboliques, œuf, dattes, miel, figues) et des vœux, plus spécialement aux calendes de la première lune de l’année, qui commençait au mois de mars.

On se présentait toujours en personne: ni missive, ni émissaire.

Saviez-vous qu’au tout début, durant ce qu’on appelle l’époque romulienne (de Romulus, fondateur de Rome), il y avait soixante jours qui ne portait pas de nom de mois ? Une durée de deux mois qui n’existaient pas. C’était la nuit calendaire. L’année commençait le premier mars et finissait en décembre. 10 mois, c’est tout.

Entre les deux: il n’y avait rien. Et c’est bien normal: il n’y avait alors pas de travail agricole, pas de grande foire, pas de fête, personne sur les chemins, tout sommeillait, on se terrait au chaud, on réparait les instruments et outils, on filait la laine ou le lin, on faisait des vêtements, on dormait, on entretenait le foyer (et cette tâche millénaire a été l’objet de tous les soins car aller demander du feu au voisin était la dernière humiliation possible, si vous vous souvenez, nous avons vu cela dans « Au Clair de l’Allume« , titre juste de la chanson populaire), on sortait aussi peu que possible.

Il faut se rendre compte que jusque là, l’Humanité au contact du froid hivernal (et donc surtout dans l’hémisphère nord) vivait au rythme des bêtes sauvages. Elle hibernait. Si vous avez connu la campagne dans votre jeunesse, avant qu’internet et la télé n’entrent sous tous les toits, vous savez aussi ce que cela a pu être: le silence de la maisonnée, le plaisir délicieux de grelotter dans un lit de gros drap sous 3 couvertures, avec une bouillotte, et ce sommeil si merveilleux, si profond, dans un air si vif, bercé des magies de Noël.

Puis, les Latins se faisant victorieux sur le froid (et ce fut là l’une des plus importantes premières victoires de l’Humanité de l’hémisphère nord, victoire qu’on a oubliée et qui pourtant est très proche de nous), le calendrier pompilien ajouta 50 jours à l’année. Les 354 (ou 355) jours de l’année, furent alors répartis sur douze mois, avec la création de ceux de janvier et février, placés après décembre. Janvier vient du nom du dieu Janus, le dieu aux deux visages, qui regarde vers le passé et le futur.

La réforme julienne mettra un terme à cette période de haute antiquité en extirpant définitivement les Hommes du rythme annuel naturel, pour donner le calendrier julien, comportant douze mois de 30 ou 31 jours (à l’exception toujours de février qui comptait 28 ou 29 jours. Février est le dernier mois, il s’adapte avec le reliquat).

Reste le souvenir impérissable d’une période d’endormissement qui est proche de l’hibernation animale.

Dès lors, en sortir était un moment d’agitation formidable ! On avait cogité durant la nuit hivernale sur ce qu’on ferait au redoux, sur les nouvelles semences qu’on planterait, sur la fille qu’on marierait, on avait fait des plans. Voilà pourquoi le début du mois de mars était marqué par des vœux réciproques.

On comprend ainsi pourquoi les vœux de nouvelle bonne année sont envoyés plutôt en janvier dans le sud de l’Europe, France y compris, tandis que les Américains et les Anglais les envoient en décembre, usage fâcheux qui tend à se répandre. Les Anglo-Saxons sont plus éloignés de l’antiquité, cela se sent d’ailleurs jusque dans l’étymologie.

D’abord, on n’est pas censé envoyer d’autres vœux en décembre que religieux, où le seul événement à célébrer est Noël. Si quelqu’un vous annonce avoir acquis une Ferrari, vous ne le félicitez pas d’y avoir gagné un superbe allume-cigare. La Nativité supplante la nouvelle année naturelle et animale parce qu’elle la révèle et lui donne un sens. Il y a une montée qualitative: ce n’est pas seulement la Nature qui renaît, c’est l’Homme lui-même ! Des vœux de bonne anée en décembre sont donc une régression, une perte. Mais ensuite, une fois passée la Noël, c’est moins la date du 1er janvier qui est à compter, purement subjective, que la renaissance naturelle de la Création, le printemps à venir. C’est ainsi que les Japonais persistent à s’envoyer des vœux pour le printemps, autrement dit mars.

Savez-vous que les jours de fêtes ne peuvent avoir lieu que les jours néfastes ? Oui, car les jours néfastes sont les jours où les Romains sont interdits de rendre la Justice ou de vaquer à leurs occupations, ils sont obligés de ne rien faire de public. Ils sont donc au chômage et célèbrent alors leurs fêtes. Les Romains nommaient Jours Fastes (dies fasti) les jours où il était permis de vaquer aux affaires publiques, notamment de tenir les tribunaux et les assemblées politiques; on les opposait aux jours néfastes ou de chômage.

Ne sourions pas trop vite à ces histoires de calendrier. Les Tibétains eux-mêmes, comme le raconte Max Montgomery dans son roman, ont un calendrier très complexe pour chaque moment de l’année, réglé en moment fastes et néfastes, et vous aviez le plus grand mal à savoir quand prendre la route, quand semer ou quand traiter une affaire, il fallait presque toujours un anachorète ou un gomchèn pour vous le dire.

On voit que cette complexité qui était la règle dans l’empire romain, devenue à la longue opaque et anarchique, contradictoire et pour finir un peu ridicule, a pu être aisément abolie par le christianisme. Avec les semaines réglées autour du vendredi et du dimanche, les choses étaient plus simples.

L’ironie, c’est que six siècles après la chute de l’empire romain, les gens d’Eglise ont dû pour ainsi dire réhabiliter les jours fastes et néfastes… en créant la Trêve de Dieu.

En effet, en 1041, après une longue période d’ordre chaotique, de paix et de troubles, d’instabilité où surgissait parfois des périodes brutales de pillage, de rançonnage, de crimes en tous genres, de déprédations et d’irruptions calamiteuses délestant les paysans, les pauvres, les plus faibles, brûlant les monastères et leurs ouvrages précieux, on a fini par vouloir que la violence cessât. Il faut lire l’Histoire des Temps mérovingiens pour mesurer à quel point le Gaulois et le Romain vaincus ont pu vivre sous le joug des envahisseurs s’érigeant en castes supérieures, pratiquant un droit tribal et inégal, humiliant les chefs autochtones, à savoir les évêques, qu’ils ne respectaient que trop peu – un peu quand même, et c’est ce qui a sauvé l’Occident tout entier. En 1041 donc, un petit groupe de quatre hommes a l’idée de déclarer, au bluff pourrait-on dire, que certains jours doivent être indemnes de tout outrage: le vendredi bien sûr, jour de la crucifixion de Notre Seigneur, mais aussi le samedi, jour de sa descente aux enfers pour racheter les âmes, et bien sûr le dimanche, jour de Sa résurrection, et puis aussi le jeudi, jour de son Ascension.

Cette idée fera son chemin. Comme le raconte brillamment Louis Brunaut, alors que cette déclaration n’a presque aucune chance de réussir, les assemblées de religieux la confortent, puis des seigneurs s’y joignent, et bientôt, « Du midi de la France, la trêve de Dieu se répandit promptement dans le nord, passa par la Normandie en Angleterre, en Allemagne par Liège et Cologne, fut reçue en Italie et en Espagne. »

Plus moyen de faire la guerre depuis le mercredi jusqu’à dimanche minuit ! Si vous avez un siège en cours, vous l’arrêtez. Si vous êtes sur le point de prendre une forteresse, un donjon, ou simplement un outil qu’on vous a volé, halte-là ! Vous ne bougez plus. Plus aucun acte belliqueux n’est permis, plus aucune justice personnelle, sous peine d’anathème. Moyen bien maigre qui est pratiquement le seul dont dispose l’Eglise, mais qui marche ! La violence de toutes ces tribus qui ont pris un pays, qui ont bataillé et volé quand ça leur chantait, dans les ruines d’un empire romain effondré, puis dans les restes d’un empire carolingien soumis à toutes les passions de rois frères et rivaux tout à la fois, de reines ennemies à mort, connaît le début de sa fin !

Une question vous reste : à quel jour faste faut-il envoyer des vœux ?

Bonne année !

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