Ce matin, j’ai une discussion avec une responsable des classes de première de l’école de mon grand fils, l'un de mes enfants qui va à l'école. Une discussion qui me laisse pantois.
Mon fils fume du cannabis
Figurez-vous que ce garnement a été pris à fumer. Misère ! Cette responsable nous en a prévenus hier. Apparemment, c’est la fin du monde. Et, ajoute-t-elle, il fumerait du haschisch « selon la rumeur ». De la marie-jeanne, en français, plus scientifiquement du chanvre indien. Du cannabis, de la marijuana en espagnol ou en colombien. Et même de la "beuh", dans les zones où sévit un langage bovin.
Le haschich dans le bec de mon bambin ?
Je me dis que le tabac, c'est une bêtise possible. Mais le haschisch, j'en doute très fortement. Nous avons assez défendu le cerveau pour accepter que notre fils détruise le sien et il le sait. Donc, doute.
Cécile en est toute retournée, de ces cigarettes (elle exclut aussi la marie-jeanne, mais nous en aurons le cœur net le soir-même). Pour moi, je me doutais que ce genre de chose arriverait un jour. A l'école, on est sous influence. On a besoin d'oser, de se procurer des sensations fortes.
Je vois mon fils le soir, convoqué dans mon (petit) bureau.
Il avoue : il fume en cachette, en effet, depuis un mois.
Je lui dis que je l’interdis. Je le regarde [s2If !is_user_logged_in()] (...) la suite est réservée aux membres accompagnés, pour activer votre accès membre, passez par ici. Déjà membre accompagné ? Connectez-vous dans le menu du site (en cas de souci, voir la FAQ). [/s2If] [s2If is_user_logged_in()]d’une manière qui ne laisse pas la place au débat. J’interdis de fumer, c’est simple.
— Je te l’interdis. Tu ne recommences pas. C’est clair ?
Il me regarde, piteux et dit :
— Oui.
Je lui demande s’il a essayé le haschich.
— Oui, j’ai essayé. Mais je n’aime pas ça.
— Eh ! bien, tant mieux parce que si tu t’y mettais, tu te souviendrais de la manière dont je m’occuperais de toi.
Il a compris.
C'est ce que je pensais. Il a fumé et il a essayé la feuille marocaine. Il sait qu'il a fait une bêtise. Il a eu sa remontrance. Il est pardonné.
Voilà. Pour moi, l’affaire est close, nous serons juste vigilants dans les prochaines semaines.
Mais attendez la suite. Le lendemain, la responsable du collège m’appelle.
— Bonjour, monsieur.
— Bonjour, madame.
Je lui explique exactement comment nous avons pris l’affaire en main.
Et voici le discours que j’entends :
— Bon, très bien, alors ce que je vous propose, pour votre bien et pour celui de tout le monde, c’est une proposition qui a été faite aux autres parents, voyez-vous, pour mettre un terme aux rumeurs, ce serait de faire faire des analyses d’urine à votre fils, ensuite il verra une commission médicale avec ses résultats et on décidera de son sort.
Je lui réponds :
— Ça, madame, c’est hors de question.
— Ah, bon ?
— Et vous me direz en passant en quoi c'est "pour notre bien".
— Au moins, vous saurez la vérité, ce qui s'est passé.
— Mais, je la sais, la vérité. Je sais ce qui s'est passé.
— Eh, bien, nous, l'établissement, nous avons besoin d'en savoir plus.
— C'est logique, mais vous me pardonnerez: c'est votre problème. Je ne suis pas le directeur de l'établissement. Mon problème à moi, c'est mon fils. Et il est hors de question qu'on revienne sur cette affaire avec mon fils.
— Mais pourquoi ?
— Je vais vous le dire. Si on fait faire des analyses, on change de registre. On passe d'une bêtise de gamin à une affaire quasi-pénale. On change les choses. Si l’on commence à entrer dans des processus de ce genre, on va dramatiser et criminaliser ce qui n’est pour l’instant qu’une bêtise. L’enfant sera mis en accusation. Celui qui sera dans le déni accentuera son attitude de refus des adultes. On rend très grave une chose qui ne l’est pas tant que ça, pas au point de devoir faire comparaître un enfant devant une commission d’expertise ou des médecins en blouse blanche. Une bêtise a été commise, l’enfant a été pris la main dans le sac et il a été sermonné, il ne recommencera plus.
— Ah ! oui mais voyez-vous, en tant que responsables, nous devons combattre cette rumeur.
— Je ne crois pas. Des rumeurs, il y en aura tout le temps, les enfants doivent apprendre à grandir et les affronter. Notre devoir en tant que responsables, surtout de chrétiens, c’est d’aider les enfants, de les aider à grandir et de leur pardonner. Pas d’enquêter de cette manière en les impliquant et en aggravant. Pas de combattre des rumeurs que ni vous ni moi n’empêcheront jamais.
— Bon, c’est votre point de vue, vous n’êtes pas obligé. Mais bon, les autres enfants feront des analyses et pas votre fils.
— C’est très regrettable et à mon avis, pas avantageux pour les enfants. C’est une manière de les mettre sous contrôle, de les domestiquer. Donc, non, pas mon fils. Mon fils ne sera pas livré à la machinerie, il n’entrera pas dans ce processus qui est un processus de mise en accusation et de médicalisation d’un comportement complètement prévisible et naturel : l’enfant fait des bêtises. La seule chose qui compte, c’est qu’elle n’ait pas de suite. En médicalisant, en dramatisant, on le pousse soit à s’enfermer en lui-même, avec la honte et la culpabilité, soit à s’opposer à la société, entrer dans la clandestinité, se cacher et être encore plus dur, à aller plus loin. C’est un processus soviétique.
— Oui mais il faut bien qu’on fasse notre travail…
— Je ne sais pas, je ne suis pas sûr. Il faut surtout une parole d’autorité. On n’a pas besoin de médecins en l’occurrence, mais d’un homme ou d’une femme d’autorité. Avec une parole d’autorité, vous mettez un terme tout de suite et vous pardonnez. Avec ce processus de contrôle, vous dramatisez, vous aggravez et vous multipliez le problème.
Je sens qu’elle a très envie de raccrocher, tout ça bouscule les habitudes, les procédures. C’est si difficile de se poser des questions sur « quel bien donner à mon enfant ? »
— Oui, bon, d’accord. Allez.
Un "allez" qui n’ose pas aller jusqu’à « au revoir ». Je l’aide :
— Au revoir, madame.
Et je raccroche.
D’un côté on a des lycées ouverts à tous les vents, qui flambent et où les instituteurs se font poinçonner à coup de cutter ou de couteaux, de l’autre on a des simili-prisons où l’on met en place des processus normatifs. En fait, les lycées qu'on laisse brûler favorisent la mise au pas des autres établissements. Comme par un fait exprès. La tentation totalitaire surgit du chaos. Pour les stratèges qui nous gouvernent, on voit que le chaos a toute son utilité.
Dans le guide, nous racontons comment un petit garçon de 5 ans qui a soulevé une jupe a été entendu par des gendarmes, en Haute-Garonne, il y a quelques temps. C'est justement cela que nous devons absolument éviter: traumatiser, aggraver, domestiquer l'individu, lui briser l'échine.
Faire une enquête est PIRE que de soulever une jupe, faire faire des analyses d'urine est PIRE que de fumer de la marijuana une fois.
Evidemment, si le gamin a soulevé 30 jupes et se montre violent, agressif, une bonne correction s'impose. Mais a-t-on besoin des gendarmes pour ça ? Les bandits les plus redoutables ont eu l'habitude d'être confrontés aux uniformes. Il faut recourir à la force publique en cas extrême.
J'ajoute deux éléments : d'abord, une analyse ne dira rien de précis. Quel que soit le résultat, on ne pourra dire si votre enfant a fumé une fois ou plusieurs fois, puisque cela dépend de divers facteurs, tel que l'appétit.
Par ailleurs, une fois que l'enfant a subi ces tests, il ne pourra plus embrasser une carrière militaire ni se présenter dans la police, du seul fait qu'il aura été suspecté de s'être drogué (incroyable quand on pense au nombre de policiers fumeurs de joints...). J'ignore si la dame y a songé, mais ce test peut détruire un espoir de carrière. J'ai appris que, dans l'école, un enfant ne pourra pas devenir militaire comme il le souhaitait. Consternant et grave.
Quelques jours passent et, bonne nouvelle, la dame que j'ai eue au téléphone dit à mon fils qu'elle a été heureuse d'avoir cette conversation avec moi, que cela lui a apporté une réflexion et, semble-t-il, que mon fils a de la chance de m'avoir pour père. Deo gratias...
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