Il est sans cesse question de « respect » de l’enfant. Mais quel respect ? Et puis, est-ce une valeur fondamentale, véritablement ?
Il en est question spécialement dans les « nouvelles » écoles. C’est le point commun.
A tel congrès entre écoles dites « alternatives », après des heures de discussion et de remarques acides, on entend cette phrase qui se veut apaisante : « Finalement on peut dire que nos méthodes sont totalement différentes mais le point commun, c’est le respect de l’enfant. »
Satisfaction générale de la salle. On peut se quitter heureux. Fermez le ban.
Nous n’allons pas vous dire qu’il ne faut pas respecter un enfant. Il le faut, certes. Et nous n’allons pas vous redire ce qu’est le respect de l’enfant au sens classique du mot.
Nous allons voir quelles sont les limites de cette vision un peu… facile, finalement. Et parfois même fausse.
Quand l’enfant fait « ce qu’il veut »
Souvent, nous avons des messages de personnes qui témoignent de familles où l’enfant « fait ce qu’il veut ».
Il prend le ballon des voisins qui le cherchent pendant des heures et s’entendent dire quand ils le retrouvent dans les mains du chapardeur : « La propriété privée, c’est capitaliste ». Encouragement au vol. Il y a aussi la petite fille qui laisse tout faire à sa maman, qui ne se baisse pas d’un centimètre après avoir renversé son bol, celle qui mord dans la plaquette de chocolat quand elle le veut, le garçon qui casse la clôture, ou qui entre chez les voisins, qui parle aussi grossièrement qu’il le veut. Un jour, un enfant est trouvé avec une morsure énorme dans le dos. C’est sa sœur qui l’a mordu au sang. Pour les parents, rien d’anormal.
Bref. Des fous. Dangereux, d’ailleurs. Ces gens qui laissent tout faire aux enfants ? Un quart d’absence d’éducation et d’ignorance, un quart de paresse, un quart d’égoïsme, un quart de désamour.
C’est plus facile de ne rien faire que de s’occuper de son enfant. Et puis, l’enfant est un choix politique: une « liberté », l’objet d’une vision spécieuse qu’on instrumentalise en fonction d’une lubie libérale voire libertaire. Enfin, la note affective dominante, c’est le désamour. Ces gens n’aiment pas leur enfant, quoiqu’ils disent.
On constate dans la même temps que ces familles sont socialement à la dérive, souvent pauvres, avec toutes sortes de problèmes. Comme dirait l’autre, « tu m’étonnes ! »
Elles ne doivent pas être votre modèle.
Sonja nous communique:
Pour faire suite à ce mail, et aussi au précédent relatif à la mode de cette « éducation libre » sans cadre, ni objectifs éducatifs dans lequel l’enfant agit seul sans interaction parentale, sans stimuli linguistique et sans matériel. Bonjour détresse et quid de Victor de l’Aveyron??Voici une citation de Maria Montessori qui me semble résumer parfaitement votre propos (et le mien)» Il ne s’agit pas d’abandonner l’enfant à lui-même pour qu’il fasse ce qu’il veut, mais de lui préparer un milieu où il puisse agir librement »Grande nuance donc.Et puis, je tombe récemment sur un vieux n° du magazine Psychologie dans lequel Isabelle Adjani va jusqu’à mentionner « Être parent est une telle responsabilité : je ne comprends pas que cela ne soit pas enseigné… »J’étais en Suisse la semaine passée. Une enseignante spécialisée me parlait de sa classe et de ses élèves, qui souffraient d’un mal « nouveau », celui d’une éducation laxiste, d’un manque ou d’une absence de présence éducative parentale . Elle essaie de la combler en restaurant un cadre. Vain combat, me dit-elle, ce sont les parents qu’il faut aider.
Qu’est-ce que ce respect ?
Qu’est-ce que ce respect de l’enfant, exactement ? Ce respect qui semble le point de jonction absolu et qui se révèle le plus petit dénominateur commun entre toutes ces écoles. « C’est cela qui distingue, disent-elles, leur méthode de celles de l’école classique et celles du passé. »
Parce qu’à les en croire, dans le passé, on ne respectait pas l’enfant, du moins pas aussi bien, pas aussi complètement… On en est sûr et certain. On dit ne pas détenir la science infuse mais au moins ça, c’est certain: « nous prônons le respect de l’enfant, mieux qu’à l’école et mieux que dans le passé. »
Deux affirmations bien audacieuses. Disons même, pour aller au plus court, qu’elles sont bien prétentieuses, et illégitimes. On a là une illustration de l’ignorance complète de l’Histoire de l’éducation et de l’enfance. Ces gens sont convaincus qu’ils ont inventé le respect de l’enfant. Car, naturellement, on n’a jamais respecté l’enfant avant eux aussi bien qu’eux. Exit tous les récits sur l’enfance depuis 2.500 ans qui prouvent le contraire. Ces gens croient qu’à Rome, l’enfant était fouetté du matin au soir; en Grèce, il était esclave; chez les Spartiates, soldat tout le jour; au « moyen âge », il était continuellement aux champs à labourer, affamé. Bref, ils n’ont aucune culture et c’est normal: ils sortent de l’école publique.
Mieux que jadis ?
La grande caractéristique de notre époque, c’est l’inculture. N’importe qui a une opinion définitive sur des faits historiques qu’il n’a jamais étudié. Chacun s’exprime sur le « moyen-âge », la Seconde guerre, Pétain ou les Croisades, sans avoir jamais lu le moindre ouvrage un peu fouillé sur la question.
C’est terrible. Et ainsi, on est dans une certitude d’être meilleur, au-dessus. Les régimes politiques ont besoin d’entretenir cette ignorance. Les Nord-Coréens sont officiellement tenus de considérer que jamais la Corée n’a été plus grande qu’aujourd’hui. Les Israéliens de même, les Américains, et tant d’autres ! Les Français sont dans l’obligation de croire qu’ils sont dans « le pays des Droits de l’Homme ».
Y aurait-il un « respect » nouveau, différent du respect de jadis ou des autres écoles ?
Non. Non parce qu’on trouve dans le passé, dans les bonnes écoles, et dans maintes bonnes écoles actuelles, un immense respect de l’enfant. Et pour beaucoup de ces établissements, un respect plus élevé que dans certaines écoles dites alternatives (l’école de la fille de Pierre Rabhi en est une tragique illustration).
Le respect dont parlent ces personnes n’est pas le même que le nôtre.
Leur « respect » est en fait essentiellement un vieux laisser-agir: l’enfant est une sorte d’être intouchable, théoriquement sacralisé et dans les faits négligé, livré à lui-même. Il ne faut pas intervenir, il faut « le respecter », autrement dit en langage clair
- le laisser se débrouiller,
- ne surtout pas faire preuve d’autorité,
- le laisser conduire ses études,
- ne pas juger ce qu’il dit ou fait.
S’il y a de justes idées de départ, il y a des inversions complètes à l’arrivée.
Déjà, intervenir moins est moins coûteux. Certaines de ces écoles font ainsi de juteuses économies sur le personnel. Dans cette cour d’école démocratique à la ferme, les enfants se battent violemment, personne ne s’en occupe. C’est « respecter » ces comportements, en effet. Reste à savoir s’il le faut. En outre, c’est plus reposant que d’avoir une exigence ou un programme: il y a bien moins de travail à laisser l’enfant baguenauder sans but que de prendre en main de vrais beaux enseignements (qui n’empêchent nullement de laisser aussi l’enfant seul quand il le faut, de respecter sa tranquillité).
- Voir aussi Comment ne pas aider un enfant
Nous avons dit que l’erreur de l’enfant pouvait être bonne et qu’il ne fallait pas le bloquer ; l’erreur peut produire une bonne culture de la recherche et enseigner l’humilité, elle invite à mieux apprendre par des voies différentes, sans s’arrêter au sentiment d’échec.
- Voir Une bonne erreur
Mais ce n’est pas pour autant que l’erreur n’est pas une erreur. On voit la glissade. Nous ne sommes pas dans le culte de l’erreur. Si vous voulez progresser en langue étrangère, rien de mieux qu’un natif qui vous corrige à chaque fois que vous faites une faute: rien n’est plus rapide ni efficace.
Mais dans le relativisme de cette génération, tout se vaut, il n’y a pas d’erreur en fait.
Déjà, en 1892, on établissait que la criminalité sortait à 89% des écoles laïques et à 11% seulement des écoles religieuses.
Quoi que fasse l’enfant, c’est toujours respectable. C’est l’a-priori intangible. L’enfant a raison, quoi qu’il fasse. Il n’y a pas d’œuvre plus belle réalisée par un enfant qu’une autre. Et puis, il n’y a pas de différence de sexe, il n’y a pas de distinction. On a à la place un syncrétisme de « valeurs » en pêle-mêle, totalement incomprises de « zen », de « bouddhisme », de coolitude américaine et une pincée de psychologisme à la Françoise Dolto, à laquelle on rajoutera une culture urbaine et du bonheur dans le pré.
Dans ce climat, oser dire qu’il y a une erreur est hérétique. C’est « fasciste ». L’erreur est cultivée.
Ce n’est pas ce que nous disons: si nous aimons l’erreur en ce qu’elle apporte de bon, nous lui trouvons une réponse qui est juste et elle disparaît.
Concurrence, compétition
De même, la concurrence entre enfants est considéré comme l’horeur absolue, il ne saurait y avoir la moindre compétition. Or, si la compétition n’est pas non plus une valeur, pas plus que le respect, elle peut être un outil, tout comme le respect. Et même parfois un outil extraordinairement motivant. Même le Club Med le sait, lorsqu’il organise des joutes de tir à la corde entre vacanciers…
Le respect en tant que valeur essentielle
C’est extrêmement réducteur. Allez donc dans une école d’aviation et dites aux élèves qu’ils auront leur diplôme de pilotes s’ils travaillent leur respect: vous serez à côté du sujet. Il y a des tas d’excellents pilotes… irrespectueux, qu’on essaie d’aider à se corriger certes, mais là n’est pas l’exigence première. Il y a de talentueuses grandes gueules, n’en déplaise aux « bisounours » qui s’effraient et bloquent, en se montrant parfaitement intolérants d’ailleurs, les gens qui s’expriment vertement sur les réseaux sociaux.
Cette insistance à vouloir du « respect » est en fait un formatage digne de l’Education nationale: si tu n’es pas « respectueux », tu sors. » On exclue l’irrespectueux. En fait de tolérance, c’est une tolérance qui n’admet que certains. C’est ce qu’on appelle l’intolérance, en réalité.
Des tas de gens, « irrespectueux » ont pu être dans leur droit, dans leur art, dans leur vérité du moment. Pagnol était irrespectueux en attaquant la corruption des élus dans Topaze, Zola et Hugo l’étaient sans cesse, Bonaparte manquait totalement de respect envers ses congénères mais c’est un mauvais exemple car il fit massacrer la moitié des Français; Garibaldi ou Einstein l’étaient, et beaucoup d’autres.
Depuis quand se permet-on de juger quelqu’un à l’aune de son « respect » ? Le respect ne fait pas l’individu.
Ne « rien imposer »
On trouve, dans la même veine, une énorme mode de « ne rien imposer ». Ni Dieu ni maître, finalement. « Je respecte mon enfant et donc je ne lui impose rien, il ne sera pas instruit/formatté/baptisé »: affirmation tellement courante et populacière qu’on ne peut pas ne pas l’avoir entendue. Nous y avons répondu: « En ce cas, ne donnez pas à manger à l’enfant puisque vous allez le manipuler, façonner ses goûts, le changer malgré lui. Ne lui apprenez pas votre langue, cela va le conditionner, ne lui parlez pas du tout. Ne faites en rien en fait car toute action est manipulation. »
Le plus incroyable, c’est que certaines personnes, nous lisant, ne voyaient pas que nous faisions de l’ironie et trouvaient que nous avions raison !
C’est la culture de l’ignorance ; l’idiocratie en marche.
Ces gens ignorent qu’il ne s’agit pas avant tout de « respecter » l’enfant, mais de l’aimer. Et aimer, c’est donner.
Ils préfèrent « respecter » qui est moins engageant.
Car donner, c’est s’investir, assumer, prendre des décisions, faire des choix, discriminer entre diverses options (et oui !), encourager, aider, s’abstenir, blâmer, sévir, nourrir, changer, improviser, élever, fortifier, aguerrir et bien d’autres choses, et dans de justes proportions, avec discernement. Il n’y a pas de mot supérieur, de règle absolue. En éducation, nous citons à nouveau l’excellent Korczack, « il n’y a pas d’opinion définitive ».
Comment se fait-il donc que ces écoles, dont celle de cette fille de Pierre Rabhi, pratiquent à ce point l’excklusion, la menace, l’arrogance, le mépris des parents d’élèves, dont ces deux abonnées qui ont été expulsées parce qu’elles avaient eu le malheur de poser des questions ?
Certains diront: « comprenne qui pourra ». Nous disons: « Logique évidente de postulats faux dès le départ ».
Ce « respect » donne ce qu’on voit fréquemment à l’école, y compris démocratique: vacuité, désespérance, niveau effroyable.
Un dogme
Le respect, qui est pour beaucoup de gens un véritable dogme, une sorte de religion, n’est pas une valeur en soi. Il n’est qu’une conséquence – éventuelle – d’une bonne éducation. Il y a des tas de choses qu’il ne faut pas respecter. Des gens qui agissent mal non seulement ne sont pas respectables en cela mais de plus, elles doivent être combattues. Mais dans ce fatras de bons sentiments qu’on rencontre fréquemment dans le monde de l’IEF, où la sauvagerie et les aggressions sont le quotidien, les choses n’étant pas nettes et toutes faites de sentiments flous et de sincérité pusillanime, on a ce chaos, ces déchirures, ces violences. C’est le grand paradoxe: on juge, on établit des règles fondées a priori sur de bons sentiments, en ignorant totalement ce que cela peut donner (et c’est d’ailleurs une preuve que ce petit monde manque profondément de culture).
Ce n’est pas nouveau
Nous avons déjà montré l’inanité de ces postulats et combien ils ont déjà sévi. Car non seulement ces idées sont fausses mais cela fait des centaines d’années voire des milliers d’années, qu’elles ont été essayées. On a vu en Grèce des expériences de ce genre. L’Afrique en a été pleine, de même que l’Amérique des colons, les communautés villageoises de l’Europe médiévale, les kibboutz en Israël, les communautés pirates des îles marquises ou de l’île Bourbon… Les exemples pullulent.
L’admirable, c’est que des gens sont persuadés d’inventer. Il est tout de même fascinant de les voir déclarer publiquement leur fierté d’avoir prétendument découvert quelque chose. Nous en sommes affreusement gênés pour eux. Rien de nouveau sous le soleil. L’ignorance éducative est en fait une grande constante, spécialement dans le monde laïcard dont le caractère particulier est de faire surgir à chaque génération des bataillons de gens qui, ignorant tout de ce qui les précède, croient avoir inventé quelque chose…
De plus, l’école fonctionne de la même manière !
Cette manière de fonctionner est en réalité calquée sur le schéma de l’école publique. Car ce qu’ils semblent ignorer, ces prophètes du « respect », c’est que c’est exactement aussi le discours de l’Education nationale. Il suffit de lire. Les ministres sont avant tout des « pédagogistes », qui estiment que l’enseignant n’a pas à délivrer un savoir et que son rôle doit surtout se contenir dans de l’animation. Ces gens, en fait d’opposants au système, sont en réalité complètement dans sa logique. Il faudrait tout changer, changer de déterminismes etc… Rien de nouveau, c’est l’obsession du changement et du neuf, avec de la matière vieille comme le monde.
A l’école publique aussi, on fait de grandes déclarations, de grandes réformes, en remettant à la mode de vieux trucs repeints à neuf.
Et pas toujours en mieux.
Le respect de l’enfant, qu’est-ce donc ?
C’est tout d’abord pour eux un respect de l’adulte vis-à-vis de l’enfant, mais ce ne doit pas trop être un respect de l’enfant vis-à-vis de l’adulte. On constate aussi que ce n’est guère un respect des enfants entre eux.
Les enfants de ces écoles étant circonscrits à cette seule valeur, ils baignent la plupart du temps dans une culture à mi-chemin entre l’amitié et le désintérêt pour les autres. Nous le voyons distinctement. Et cette cote mal taillée débouche assez vite sur le mépris. Dans toutes les écoles où le mot d’ordre est le respect de l’autre, sans l’émulation de groupe, il n’y a pas d’esprit de corps. La cohésion est inexistante. N’imaginez plus des réseaux de résistance: l’individualisme a transformé la génération de 40 en celle de 2000, qui n’a rien de plus pressé que de contester son frère.
C’est le libéralisme à l’aune de l’individualisme. Evidemment: si chacun a raison est est fondé à faire tout ce qu’il fait ou ne fait pas, chacun est le roi. Donc personne ne l’est.
De là, on a un désanchantement. Tel enfant est triste. La maman s’en inquiète et va en parler avec la directrice de l’école alternative: « Mais madame, votre enfant est triste, oui, mais c’est parce qu’il veut plus que les autres, il veut dominer, il veut être au-dessus des autres. Nous, on sait pas faire. C’est pas dans notre charte ».
Ce langage bureaucratique illustre une incompétence. L’enfant n’a pas besoin de « dominer », il a besoin d’exister, en tant qu’être unique. S’il est sans cesse traité comme les autres, il n’existe pas. Ainsi, ces écoles reproduisent le modèle anglais du XIXème, qui est LE modèle haï du Cercle des poètes disparus.
Distingué
Tout enfant a aussi besoin d’être distingué parmi les autres. Il a besoin d’élévation, d’enchantement. Or, ces structures, par définition, ne peuvent proposer d’enchantement qu’en groupe, de manière collectiviste, autrement dit incompatible avec l’enchantement véritable.
Ce serait le groupe qui définirait la norme. C’est aussi ce que dit l’Education nationale, là encore.
Or, l’émerveillement n’est pas réellement partageable. La dimension essentielle de l’être est unique. Et non collective. C’est aussi ce qui distingue l’être pensant de l’idéologie.
On a certes une culture de fête en groupe, des ambiances de « sorties de stade », de célébrations footbalistiques. Cela reste pauvre, infiniment loin de suffire.
Ce n’est pas d’abord de respect que l’enfant a besoin
Ce n’est pas essentiellement de respect dont l’enfant a besoin. Pas essentiellement. Le respect ne peut venir qu’après, qu’en aval, à condition qu’un certain nombre de choses soient faites, que des conditions soient remplies.
Passe avant par exemple l’admiration. Un enfant qui a admiré quelqu’un peut le respecter véritablement. Mais le respect avant l’admiration ou l’amitié est une pure vue de l’esprit.